Mélancoliques mimoïdes
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le 5 mars 2016
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La petite collection Taschen propose des titres qui sont loin de se valoir tous, qui offre parfois de mauvaises surprises, parfois au contraire - mais c'est plus rare - de très bonnes, mais ces titres se conforment tous, ou du moins le croyais-je jusqu'à présent, à une forme à peu près identique, qui mêle de manière classique biographie et monographie. Que ce soit raté ou réussi tient au contenu lui-même.
Michael Bockemühl m'a donc causé une surprise de taille, en rompant avec ce formatage. Et pourquoi pas ? Il y a bien plus d'une manière d'aborder pédagogie et vulgarisation, et le projet de se concentrer sur l'analyse des œuvres de Rembrandt pour faire comprendre son parcours d'artiste et son projet tenait la route. Ma foi, vu comme ça, ça ne semblait pas du tout une mauvaise idée.
Alors, il existe un avantage certain à cette approche : celle d'apprendre à lire un tableau, quel qu'il soit, et plus particulièrement - et évidement - ceux de Rembrandt. Et je pense que les personnes qui ne sont pas coutumières de la méthodologie d'analyse des œuvres en histoire de l'art peuvent en tirer quelque chose. Mais, mais, mais... Mais, tout d’abord, si l'auteur a choisi ce procédé, c'est qu'il avait une idée derrière la tête, une thèse à démontrer. Ce qui l'a conduit, il me semble, à choisir certains tableaux et à en écarter d'autres qui ne seraient pas forcément rentrés dans son système de pensée. Si je ne me trompe pas sur la question de cette sélection un peu biaisée, je ne peux qu’en déduire que la méthodologie de base est mauvaise (au secours, les zététiciens !) Mais il est de fait difficile de savoir si, effectivement, le but est d'argumenter en éludant tout ce qui gêne, ou si tout simplement, le format de la collection contraignant les auteurs à écrire 100 pages au maximum, Bockemühl s'est vu forcé de se limiter à quelques tableaux. Quand même...
Le second problème, c'est que l'auteur s'est concentré sur la composition des tableaux. Ce qui manque déjà, ce sont, à côté des reproductions en couleur, des reproductions (ce qui se fait en général quand on veut faire ressortir la composition d'un tableau), en noir et blanc avec des lignes rouges, des cercles, des spirales, enfin bref, tout ce qu'on veut qui permet de mettre en évidence les lignes de force, la verticalité ou l’horizontalité, la forme d'un visage, le mouvement, et que sais-je encore. Lire juste les descriptions sur la composition après avoir regardé la reproduction du tableau, c'est ça se révèle vite assez fastidieux. Ça passe très bien en conférence, alors qu'on a sans cesse sous les yeux une repro sur écran grand format, ça passe aussi dans des livres plus érudits, ça passe plutôt mal dans un ouvrage de vulgarisation, vu que ça fatigue assez vite le lecteur. Il me semble qu'il y avait moyen de parler de la composition des tableaux de Rembrandt sans rentrer dans autant de détails : pour qui veut se frotter à une première approche du peintre (et c'est le but de cette petite collection Taschen), voilà un procédé qui risque fort de rebuter pas mal de monde. Sans compter que cette concentration sur la composition oblige à souvent mettre de côté d'autres aspects de la peinture de Rembrandt : lumière, touche, couleur... Oui, on parle un peu de lumière, mais le livre ne traite quasiment pas de la question, essentielle chez Rembrandt, du clair-obscur. On n'apprendra pas que Rembrandt pouvait aussi bien peindre de façon "léchée" qu’utiliser une touche plus imprécise, esquissée, épaisse, ni même 'il utilisait le manche de son pinceau pour aller gratter, griffer le tableau, ce qui n'est tout de même pas anodin. Quant à la couleur, il n'en est quasiment question que dans l'analyse du dernier tableau étudié. Lorsque, à propos d'’une autre œuvre, j'ai lu qu'on allait privilégier le dessin pour l'analyse, car celui-ci mettait mieux en valeur les effets visuels de Rembrandt, j'ai pensé très fort à Michel Pastoureau ; cette seule phrase pourrait sérieusement lui causer une attaque.
Mais pour le coup, le livre souffre d'un problème généralisé. À ne pas vouloir entrer dans la biographie de l’artiste (qu'on ne retrouve qu'à la fin sous forme de chronologie), à ne pas vouloir se soumettre à l'exercice de la monographie, on en arrive à présenter une image de Rembrandt tronquée, décontextualisée (historiquement, géographiquement, artistiquement, biographiquement). C'est pour moi un problème que l'auteur ne soumette aux lecteurs que quelques tableaux, d'abord, à l'analyse, puis de moins en moins au fur et à mesure : sur sept chapitres, quatre sont consacrées à une œuvre unique. C'est pour moi un problème que le sujet des autoportraits soit traité un peu par-dessus la jambe en guise d'introduction. C'est pour moi un problème que ne soient pas mentionnés des tableaux comme Le Philosophe en méditation, Le Souper à Emmaüs, Bethsabée au bain, Le Bœuf écorché ou La Leçon d'anatomie du docteur Joan Deyman. C'est pour moi un problème que sa vision de La Leçon d'anatomie du docteur Tulp accapare tellement Michael Bockemühl qu'il en oublie l'interprétation du tableau en tant que "memento mori"...
Alors oui, Michael Bockemühl a un message à faire passer sur Rembrandt, et il le fait passer. Plus ou moins. L’aspect novateur de la peinture de Rembrandt, on la saisit - du moins en partie, parce que vu qu'il n'est guère question du clair-obscur, bon... Et cette thèse qu'il défend bec et ongles, à savoir que la composition des tableaux de Rembrandt est tellement travaillée (ce qui n'est pas faux, évidemment...) qu'il en vient à faire entrer le spectateur dans ses œuvres, à diriger leur regard de manière à les leur faire comprendre, qu'il leur apprend à regarder la peinture, elle est difficile à louper, cette thèse. Non pas que je sois franchement en désaccord là-dessus, mais je doute tout de même que, sans une petite initiation à la méthodologie de l'analyse en histoire de l'art, on soit complètement à même de tout saisir d'un Rembrandt en une fois. Et même en deux.
Donc, je me suis ennuyée de plus en plus à mesure que les analyses se suivaient et ressassaient le même leitmotiv sur la perception du spectateur, et j'ai rien compris à cette histoire de "mystère de l’apparition", formule qui sert plus ou moins de sous-titre au livre.
Il me semble qu'il doit exister des livres de vulgarisation sur Rembrandt plus attrayants (et tant pis s'ils prennent une forme plus classique), et que, si on cherche à apprendre à analyser la peinture, on ferait tout aussi bien de se diriger vers Lire la peinture de Nadeije Laneyrie-Dagen. Et ce d’autant qu'elle a réitéré, entre autres, avec Lire la peinture de Rermbrandt.
Et puis zut, quand on achète un livre de la petite collection Taschen, c'est quand même pour avoir sous le nez de nombreuses reproductions, même si les couleurs sont en général un peu trop saturées. Un livre sur Rembrandt avec Le Boeuf écorché en tout petit dans un coin n'est pas un véritable livre sur Rembrandt !
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Créée
le 24 mars 2019
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