À Monsieur K. Sanchez, très-cher ami, un présent modeste.
L'auteur est un docteur en histoire, mais on peut légitimement le soupçonner d'être un fabriquant de vases. Comme cette biographie, ils sont parfois stylisés, semblent de bonnes factures mais restent néanmoins creux.
Laurent Dingli présente en 4e de couverture son ouvrage comme le résultat de « l'union de l'Histoire et de la psychologie collective [permettant] désormais de porter un autre regard sur la Révolution française et d'expliquer l'étonnante rencontre entre la France et Robespierre ». Il est brillamment contredit par Dingli Laurent sur presque 600 pages, « l'autre regard » devenant une compilation des sentiments négatifs depuis les 200 dernières années sur Robespierre, à l'aide de sources présentées comme sûres & jamais discutées.
Ainsi, le témoignage « il est vrai partial » de l'abbé Proyart, « farouche détracteur du révolutionnaire », sert à confirmer le point de vue idéologique de l'auteur, à le dispenser de prendre du recul lorsqu'il travaille sur ses sources. Honnête cependant, il nous averti dès les premières pages : « la neutralité, bien sûr, est impossible ; elle n'est pas même souhaitable ». De cette manière, pas besoin de s'embarrasser d'une réflexion sur des écrits antérieurs, s'ils sont partiaux ou non, ou sur ses propres a priori & ses propres représentations. Après tout, l'historien risquerait de « devenir un pur et fade transmetteur de faits ».
L'objectif de cette biographie est clairement exposé dès la 4e de couverture : il s'agit de chercher « qui est Robespierre ? Où le trouver ? Au sommet du panthéon ou dans le tréfonds de l’égout ? ». La principale méthode employée pour caricaturer le personnage est une caricature de la démarche historique : toutes les données biographiques de Robespierre sont revues au travers du prisme de la Terreur, parce que l'auteur le considère comme en étant « l'incarnation toujours vivante ».
L'étude faite d'une lettre de Robespierre adressée à ses amis Buissart est symptomatique de ce biais majeur : tandis qu'elle est légère & dédiée à la plaisanterie, Dingli Laurent assume de prendre « le ton de la lettre » « au premier degré ». Il en vient alors à proposer des conclusions dignes d'une psychanalyse de comptoir, omettant, étourdit sans doute, de citer les passages qui pourraient entrer en contradiction avec l'interprétation de Laurent Dingli. Ainsi, la lettre contient un passage amusant rendant grâce à l'inventeur oublié de la tarte. Le « biographe », répétant que le « récit ne contient pas une once d'ironie », usant d'une méthode où la neutralité « n'est pas même souhaitable », le prend pour argent comptant & le juge « d'une qualité douteuse sur le plaisir de manger de la tarte – il faudrait bâtir un temple à son inventeur, affirme Robespierre ». S'il manquait de la rigueur pour la chose historique, il manque assurément du recul pour la part littéraire, les conclusions tirées étant chaque fois plus comiques que le texte auquel elles se réfèrent...
Autre aspect de cette biographie, un événement est particulièrement mis en valeur, au point qu'on en devient soupçonneux, non pas de la véracité des faits, mais sur l'usage que l'auteur veut en faire. Ce sont les « massacres de Septembre » de 1792. Après une longue compilation de témoignages de l'époque tout à fait insoutenables, Laurent Dingli, qui a « insisté sur les descriptions des tueries », veut ainsi, non pas par « complaisance morbide », « mettre en exergue le décalage entre les faits et (…) Robespierre ». Qu'il est subtil, de la part de l'auteur, d'en appeler à l'émotion de ses lecteurs pour relier la responsabilité des massacres à Robespierre ! Ne recourt-on pas aux passions quand la Raison vient à manquer ? Ce procédé orienté n'est-il pas employé pour rechercher chez le Robespierre de 1792 les caractéristiques de « l'incarnation toujours vivante de la Terreur », comme se le représente l'auteur, à rebours de toute posture historique ?
Par ailleurs, & toujours dans cette optique, l'auteur est probablement un historien de la Seconde Guerre Mondiale qui s'ignore. Sans cesse revient la comparaison d'un personnage historique de la fin du XVIIIe siècle avec les totalitarismes du début du XXe, « non pas dans les faits, mais dans le mécanisme psychologique collectif ». En constituant une continuité idéologique imaginaire entre Robespierre, Hitler & Staline, l'auteur veut, par la répulsion que nous inspire les deux derniers, discréditer le premier. On recherchera vainement la justification de la pertinence d'une comparaison entre plusieurs contextes politiques, économiques, sociaux… Le lien entre « l'Histoire et (...) la psychologie collective », ainsi que les intrusions idéologiques de l'auteur dans les faits éclairent alors la justesse des titres des sections. On soulignera rapidement « Vers le totalitarisme », « L'enfant mort ou le catéchisme totalitaire » ou encore le subtil « La Belle Mort, acte III. Du Panthéon à l’égout ». On attend impatiemment une biographie sur Clovis, dont Laurent Dingli nous expliquera le célèbre baptême par une mise en perspective aussi pertinente que justifiée avec l'attribution des pleins pouvoirs à Pétain.
En outre, si la plume de Laurent Dingli peut paraître prometteuse d'une biographie de qualité, le point du vue de Dingli Laurent vient gâcher l'ensemble à grand renfort d'un champ lexical que l'on ne s'attendrait pas à lire dans une étude présentée comme un ouvrage d'histoire. Rien qu'au premier paragraphe du prologue, on notera « lueur pâle, mystérieuse, pénombre du tombeau, répulsion, ombre froide, glaive, immonde, accouplement monstrueux, contradiction, immense désarroi, mort, contrariés, méchants, tombe »… Ne soyons pas de mauvaise foi, on trouve aussi « sublime de l'idée, baiser glacé, espoir avorté, bonheur suave, divine surprise »… Bref, la retenue nous est épargnée.
En cherchant Robespierre soit au panthéon, soit à l'égout, l'auteur nous démontre surtout que la palette dont il se sert pour repeindre l'époque de la Révolution ne dispose que de deux couleurs. Les nuances ne sont que d'apparats tant le discours est tranché.
Ainsi, si les sources sont biaisées consciemment par l'auteur, puis que l'interprétation qui en est faite se trouve elle aussi biaisée, on a de bonnes chances de lire une biographie orientée. Les historiens jugeront. Au final, l'ouvrage compile pour eux, mais aussi pour l'amateur, le passionné ou le curieux, d'une part l'un des principaux écueils en histoire : la présentation des faits au service de ses propres représentations ; d'autre part le piège de la biographie : réviser ce que fût toute l'existence d'un personnage historique pour la rendre cohérente, par tous les moyens, avec ce qu'il fût ensuite.
Pour autant, l'auteur n'est certainement pas tombé naïvement dans ce piège. La volonté de représenter Robespierre par une figure caricaturale masque celle de discréditer l'ensemble de l'expérience à laquelle le révolutionnaire a participé, les transformations qui en découlèrent, les projets qui pourraient s'en inspirer.
C'est selon moi l'utilité première de cette biographie ; non de comprendre qui était Robespierre, ni même de juger ce qu'en pense l'auteur puisqu'il a tout à fait le droit de l'exécrer, mais de se positionner, si l'on tolère ou qu'il nous est insupportable que l'histoire souffre d'une logique aussi bancale pour justifier plutôt que des thèses rationnelles des a priori, des points de vues idéologiques & des partis pris. Si la biographie passe à côté de Robespierre, Laurent Dingli, lui, recoupe totalement cet enjeu.
T. R.-L.