Heidenau, Basse-Saxe, 2006. La journaliste Patricia Sammer se présente chez une certaine madame Lamprecht : elle a entrepris un travail sur la période du Mur, épluché de long en large les archives de la Stasi et elle enquête notamment sur les gens qui ont réussi à passer à l’Ouest au péril de leur vie et qui, déçus par le modèle occidental, ont choisi finalement de retourner vivre à l’Est.
Visiblement, madame Lamprecht, méfiante et un tantinet sauvage, n’a pas envie d’aborder le sujet, a fortiori avec une inconnue. Petite femme discrète d’une soixantaine d’années environ, elle semble préférer vivre un peu loin de l’agitation du monde. Aussi, s’apprête-t-elle à lui fermer la porte au nez lorsque la journaliste lui dit : « … dois-je vous appeler Inge Oelze ? » La porte s’ouvre alors et l’histoire commence…
La question centrale de ce roman est évidemment : qui est en réalité Inge Oelze, est-elle ce qu’elle dit être, cache-t-elle quelque chose d’inavouable, des blessures de l’Histoire ?
Mais une autre personne se révèle, elle aussi, bien étrange : la journaliste elle-même !
Que cherche-t-elle précisément, cache-t-elle quelque chose, pourquoi se réfugie-t-elle régulièrement dans l’alcool, quelle blessure explique cet état dépressif profond ?
Et c’est bien là ce que j’ai préféré dans ce roman, à savoir ce lien ambigu et toujours tendu à l’extrême qui se tisse entre les deux femmes, une espèce de jeu de cache-cache, d’aveux plus ou moins tronqués, de complicité, de tendresse même mêlés d’un je-ne-sais-quoi de haine voire de répulsion.
Sont-elles sincères ? S’il y a manipulation, qui manipule l’autre ? Leurs tête-à-tête plongent le lecteur dans une tension extrême, presque insoutenable… Tout semble opposer ces deux femmes et pourtant…
En mettant en place deux temporalités (et trois générations) : le passé (1943-1977) et le présent (2006), l’auteur révèle petit à petit les événements vécus par les personnages et leur famille. S’offre alors au lecteur une véritable plongée dans la Grande Histoire : la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre Froide que l’on redécouvre à travers le point de vue de personnages qui se trouvent malgré eux pris au piège d’une vraie tragédie. On découvre alors l’intimité de ces gens écrasés par l’Histoire, leurs terribles souffrances et l’incapacité finalement qu’ils ont à se projeter dans l’avenir.
Rouge armé est un roman policier comme je les aime : des personnages complexes, mystérieux, dont on ne perçoit pas tout de suite les motivations, un suspense vraiment haletant jusqu’à la dernière page, des effets de surprise, des fausses pistes, un nouvel éclairage sur une période historique terrible et notamment ce qu’ont vécu les Sudètes (et que l’on ne connaît pas forcément très bien), enfin et peut-être est-ce là le plus important, c’est un roman qui nous pousse à nous interroger sur les notions de bien et de mal et la difficulté parfois de les distinguer. A-t-on le droit de tuer pour des idées, au nom de la liberté ? Peut-on (doit-on) pardonner les crimes passés ?
Bref, un roman qui nous montre que rien n’est simple (mais ça, on le savait déjà !)
Une réussite !
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