Ça avait l’air intéressant : qu’un auteur francophone s’attaque à la littérature américaine pouvait apporter quelque chose en termes de style et de regard.
Stylistiquement, une manie de Nicolas Zeimet, que l’on retrouve dans certains des récits que parodie le Jourde & Naulleau, consiste à tout dire, à empiler les détails sans intérêt, à la fois pour donner une impression — factice — de réel et pour répondre aux questions que le lecteur ne se pose pas : « Jake enfonça sa casquette des Cubs sur son front trempé de sueur et remonta le col de son polo pour protéger sa nuque » (p. 193). Au besoin on insiste, pour que le message passe bien : « Son intuition faisait mouche, la plupart du temps ; elle avait une sorte de sixième sens qui lui faisait rarement défaut » (p. 285). Ou bien on impressionne avec des trucs qui ne veulent rien dire : « L’air était empreint d’une pureté inédite, quasi biblique » (p. 226).
J’ai du mal à qualifier un roman de littérature quand il emprunte sans aucun second degré la majorité de ses tournures et de son vocabulaire à une psychologie bas de gamme (« Les dernières résistances de Betty volèrent en éclat et son trop-plein émotionnel se déversa dans un flot de larmes », p. 167), au style zéro des médias d’actualité (« Hommes, femmes, adolescents : tout le monde s’était uni dans un bel élan de solidarité », p. 182) ou à la presse de salon de coiffure (« Ses batteries étaient à plat, la moindre variation sur le spectre de ses émotions se serait soldée par une nouvelle crise de larmes », p. 254). C’est simple, on croirait lire du Marc Levy délocalisé, ou — ce qui revient peut-être au même — du Stephen King encore plus mal traduit qu’il ne l’est déjà.


En guise de regard, Seuls les vautours ne propose ni décalage, ni hauteur de vue, et en définitive pas la moindre ambition. Tout est immanquablement raconté au ras des pâquerettes ; le niveau zéro de la perspective. La reconstitution de l’Utah en 1985 est soignée, précise, probablement documentée et fort juste, mais sent l’écomusée. Peut-être fallait-il un auteur américain pour porter un regard valable sur la société américaine. Mais n’est pas Egolf — ou Pollock, ou Ellroy, ou même « seulement » King ou Irving — qui veut.
Du coup, le roman enchaîne les stéréotypes, sans retenue ni distance. Cela ne nuit pas encore trop à l’intrigue, suffisamment construite, carrée et cohérente pour pousser le lecteur à tourner les pages, et qui n’est pas trop tirée par les cheveux avant les soixante dernières pages. Mais pour les personnages, c’est un cauchemar. Aucun, même pas le plus anonyme des figurants, qui ne soit un cliché, au point que je me suis demandé si Nicolas Zeimet n’avait pas essayé de rendre une espèce d’hommage à la fiction américaine, en ne choisissant que des personnages déjà vus dans au moins cinquante autres films ou romans. Pour le coup, les meilleurs Stephen King — et plusieurs scènes de Seuls les vautours semblent lorgner sur le Corps ou sur Ça — exploitent les clichés avec plus d’adresse, et ne manquent pas leur cible.
À un moment, un vieil homme, avec forcément « une pointe de lassitude dans la voix », délivre un message philosophique de haute volée : « On naît, on grandit, on souffre, on vieillit. Et à la fin, on passe l’arme à gauche… “Ainsi va la vie”, comme disait l’autre » (p. 230).

Alcofribas
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le 19 juin 2015

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