Souvenirs d'immensité

Résumé : Je voyageais comme j'écris, en dévorateur du visible et de l'invisible. Un voyage, une écriture, chez moi, c'est la conquête d'une vérité qui n'est pas toujours ni belle, ni chatoyante, ni rassurante. C'est aussi m'en aller à ses relents, ses sueurs, ses déjections, non pour m'y vautrer, mais pour mettre ma propre humilité à l'épreuve du courage qu'elle exige, pour la regarder en face et en accepter les conséquences.Marcel MoreauExtrait du livre :Elles sont belles les isbas, je ne m'en lasse, sauf qu'elles me renvoient à ma solitude quand j'en enjolive la façade d'un art naïf comme pour tromper le passant. Le train va vite, toutefois pas assez pour que je n'essaie de fixer la somptuosité chagrine de la steppe. La Sibérie me donne, plus que tout autre, le sentiment que c'est le seul et dernier pays dont je puisse espérer faire une patrie à perte de vue : impossible, vertigineuse pour la diaspora épuisée de mes mots, en fin de destin. Il y a des adieux à ma vie, à mes racines et antécédents, dans le regard pourtant allumé que je porte sur elle. Le paysage m'entraîne dans un monde, à des extrémités de ce monde, d'où les chances de revenir sont à peu près nulles. L'histoire chaotique de mes visions et prémonitions trouve ici de quoi se saturer définitivement de ce qu'elle a compris de ce monde, ses pourrissements et ses merveilles. Quelque chose de ma connaissance de la mort se perd en ces bouleaux mouillés, et, par-delà ces forêts, dans le froid d'un hypothétique Verkhoïansk aux allures de parti unique. Soudain, les forces qui me détruisent, identifiées en moi comme slogans, sont reconnaissables hors de moi. Dans une immensité qui me veut tout à elle, jusqu'à ce que je ne sois plus rien en elle. Ces manières d'ensevelissement, d'annulation douce, concentrationnaire en blanc, elles me sont familières, car parfois aussi mes mots ont