8 nouvelles poignantes et inspirées.
Jeanne-A Debats écrit peu, mais bien.
Elle avait commis en 2008 La Vieille Anglaise et le continent, une novella douce amère, très bien faite, sur le choix fait par une aristocrate excentrique de finir ses jours dans la peau — et la tête — d'un cachalot. Le texte, élégant et maîtrisé, nous offrait un parcours envoûtant dans le grand bleu, et s'accompagnait d'une trame écologiste où les méchants n'étaient point ceux qu'on croit. De la belle ouvrage, qui, de mémoire, a raflé quatre prix, dont le GPI catégorie nouvelle. En toute logique, on attendait donc Debats au tournant, c'est-à-dire au prochain opus.
L'opus en question est un recueil de nouvelles, Stratégies du réenchantement, fort justement paru dans la collection du même nom chez Griffe d'Encre, où Jeanne-A a ses habitudes. Un mot tout d'abord sur l'objet : couverture de Caza, pas moins. J'aime bien Caza en général, mais là, on est un peu oppressé, avec un univers carcéral tout rouge qui ouvre sur un improbable ailleurs, meilleur peut-être mais surtout très jaune. On le verra, c'est raccord avec le contenu.
Le contenu justement : pratiquement que du très bien. Huit nouvelles, et une postface de Dunyach, certes pointue, mais qui ne m'a pas marqué. En quatrième, on lit « huit nouvelles sur l'art et les raisons de dire non », ce qui résume assez correctement le fil rouge du recueil.
On commence fort à mon goût, avec « Aria Furiosa » : dans une uchronie à peine marquée, le dernier castrat, Orlando, est contraint par un colonel SS de chanter pour Rommel. La réponse du maître sera à la hauteur du chantage atroce de l'officier allemand. Une écriture précise pour un conte bref et intense comme un contre-ut.
Suit « Saint-Valentin », plus léger, en décalage avec la tonalité du reste de l'ouvrage. Un conte farceur, où la fiancée d'un tueur en série sentimental contraint un ogre bizarre à l'aider à retrouver sa réalité. Bien fait, mais anecdotique.
Tout autre chose est « Paso Doble », où nous retrouvons pour partie l'univers de la Vieille Anglaise, du moins l'un de ses arguments. Impossible de vous en dire beaucoup sans déflorer cette danse mortelle et belle, sous le soleil d'un monde déliquescent.
« Stratégies du réenchantement », qui donne son titre au recueil, où une victime du sida4, salaud assumé rendu monstrueusement asocial par le virus, choisit la voie improbable de la rédemption.
« Privilège insupportable ». Dans ce monde dévasté, plus d'oxygène. Pour survivre, une poignée de survivants a organisé le rationnement. Mais l'un deux, en secret, a trouvé bien mieux, et même s'il doit pour cela transgresser tous les tabous.
« Gilles au bûcher », raconte un monstre qui élève un troupeau d'humains en vase clos pour son usage. Il a tout calculé pour pouvoir un jour se livrer à nouveau à la chasse, son seul plaisir. Mais un jour, les plus jeunes de la tribu ramènent une statue dorée. Une bien cruelle surprise pour Gilles.
« Fugues et fragrances au temps du Dépotoir », la plus aboutie du recueil. Dans un satellite artificiel, une tribu de clochards résiste aux Réguliers. Rosso, enfantin et rebelle, amoureux fou de MaryMad, fera l'apprentissage de la vie un peu, de la mort beaucoup. Eros et Thanatos dansant sous les étoiles.
Et pour conclure ? Une brève, deux pages tout compris, « Nettoyage de printemps », jouissive et radicale. Une conclusion appropriée pour un recueil nerveux, solide et cohérent.
Hautement recommandable, donc.