Nous exprimons les sentiments les plus divers et souvent exaspération, quand, sur le quai d'une gare ou lors d'une correspondance du métro nous entendons le haut-parleur annoncer «Suite à un accident grave de voyageur...»! Tout d'un coup nous nous disons «merde! je vais être en retard, je vais rater ma correspondance, mon cours, mon badge ne va pas passer, j'arriverai jamais à temps et les enfants seront dans la rue...».

C'est cela qu'il nous raconte Eric Fottorino dans ce «petit livre (63 pgs. éd. Gallimard)». Il habite dans la banlieue parisienne, calme et aérée, et en l'espace de quelques jours, trois tentatives de suicide réussies. A une d'elles, sa fille Constance, quatorze ans a été témoin. Il l'a incité à parler, à tout raconter, à vider le trop plein de ce drame. C'est ce qu'on ne fait jamais, faute de temps.

«Le suicide sur les voies n'est pas une vie perdue, c'est du temps perdu». Ancien directeur du Monde, journaliste de long carrière, il a mené son enquête. Il n'a pas cherché à savoir de qui il s'agissait. La presse en parle, succinctement, quelque fois l'âge, le sexe pas beaucoup plus et cela n'intéresse personne.

Non, il a cherché à savoir ce que les personnes, les voyageurs, les habitués du train, les voisins de la gare savaient. Et dans son investigation, certains avaient entendu parler car ils avaient été retardés. Mais «comment auraient-ils su? Mes questions suscitaient un certain malaise. Pourquoi parlais-je d'événements dont nul ne parlait? Je nous prenait en flagrant délit de ce que Mauriac appelait autrefois 'le crime de silence'. Taire m'est apparu comme le verbe auxiliaire de tuer. En niant cette souffrance, on ne laissait aucune chance au désespéré de partager son mal-être. Une douleur flottait dans l'air. Elle planait, menaçante. Personne ne la prenait en charge. Trop lourde à porter. Condamnée à grandir jusqu'à devenir invivable».

Il nous donne à entendre un pompier, ancien voisin et professionnel compétente; Il donne la parole à Sophie médecin qui connaissait deux des victimes, elle même ayant perdu une sœur au métro, station Cambronne. L'auteur réfléchi devant un tableau de Hopper, les oiseaux de nuit, où les personnes présentes s'ignorent, ne se regardent pas... Il nous donne à lire les commentaires sur le Web des usagers des transports «en colère contre ceux qui les ont retardés, en faisant arrêter le trafic».

En effet, écrit Fottorino «l'expression trafic perturbé m'est apparue dans toute sa froideur. Officiellement, aucun être humain n'avait été perturbé. Le trafic, juste le trafic. Des trains avaient eu du retard. La détresse de la victime était passée par pertes et profits de la vie quotidienne. Comme la souffrance de ses proches et des témoins, tous ceux qui auraient pu prononcer une parole, avant l'irréparable. La parole, je l'avais compris, n'avait aucune place dans cette histoire».

Le Parisien et le Courrier des Yvelines disaient bien que ni la SNCF ni la ville n'avaient de solution. Le Courrier titrait même «l'insoluble problème des suicides en gare». Le maire de la ville, préoccupé avec le retard de la reprise du trafic, posait la question sur l'intérêt ou «la nécessité de faire venir le médecin légiste».

Voilà un regard, celui d'un journaliste qui se questionne et nous questionne sur les conséquences de l'acte de détresse de l'Autre et la façon dont nous-mêmes cherchons à le comprendre pour le vivre autrement.
in http://blogs.mediapart.fr/blog/arthur-porto/120413/suite-un-accident-grave-de-voyageur
ArthurPorto
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le 21 sept. 2013

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