Le narrateur, Franck, aime la campagne.
Lorsqu’il était enfant, ses parents avaient acheté une maison à Mortcerf (Seine et Marne) et gamin, il y passait tous ses week-ends et ses vacances. Et il préférait cela aux Caraïbes ou aux montagnes tyroliennes. Il partageait cet amour de la campagne avec Quentin, un gars du cru et qui comptait le rester. Leur rapport à la nature, puissant, intime, sensuel, nourrissait leur vie : « Je ne connaissais pas les plantes et les arbres par leur nom, dit le narrateur, et ne cherchais pas à le connaître. Je les reconnaissais tous de loin, l’un pour l’ombre sur laquelle je savais pouvoir compter les jours de chaleur, les autres pour leurs repousses longues et droites, aptes aux meilleurs lances, d’autres encore car on trouvait à leur pied quantité de fougères, de cachettes. » La nature le fascinait: il s’extasiait volontiers devant un héron mort, un « poisson vert et or échoué sur une rive boueuse ». Heureux de la contemplation du monde… « Du commun, j’avais imaginé l’extraordinaire ». Une nature presque sacrée, source d’un éternel bonheur…
Enfin, pas si éternel que ça : le mode d’agriculture change, lentement mais sûrement : « Les agriculteurs en comptables angoissés, la calculatrice sur la tempe, arrachaient les haies, saccageaient les paysages de leurs ancêtres. », les lieux se transforment. Une ferme d’élevage intensif de volailles s’implante près de la maison des parents, les terres deviennent petit à petit « de mornes chaînes de production de betteraves ou de maïs ». Les outils agricoles se transforment en objets de décoration. La banlieue s’étend, grignote l’espace, « ronge la majeure partie de la France ».
Les pavillons se multiplient, les chemins se couvrent de bitume. On bétonne, on goudronne. « On avait arraché les haies, éliminé les broussailles inutiles, dans un même souci d’efficacité. ». On balise les sentiers pour que les vététistes et les coureurs en jogging fluo puissent en profiter par tous les temps. De « petits lions en plâtre » ornent désormais l’entrée des pavillons entourés de hautes haies de thuyas et de grillages. « N’y va pas, Franck » conseille la mère du narrateur peu avant la vente de la maison.
A cela s’ajoutent les vols, la drogue, la violence. Autant dire que Mortcerf n’est plus Mortcerf et le narrateur est anéanti. Adulte, il ressent toujours cette peine immense, le sentiment d’avoir perdu quelque chose : « J’étais inconsolable, je le suis toujours. »
« La campagne, dans sa hâte d’avancer et de rattraper le monde en marche, avait fait un grand pas, mais un pas de côté plus qu’en avant ; un écart hasardeux. »
C’est de cet écart, de cette perte qu’il est question dans le livre de Franck Courtès à travers l’histoire de Quentin, un camarade du narrateur qui, pour s’être battu contre tous les fléaux qui s’abattaient sur les terres qu’il aimait, s’est retrouvé en prison.
On sent dans l’écriture très sensible de l’auteur une véritable amertume, une profonde tristesse, la nostalgie d’un temps qui ne sera plus, parce que les campagnes qui bordaient les villes ne sont plus des campagnes mais des villes-dortoirs d’où l’on part tôt et où l’on rentre tard, des espaces où l’on ne va plus en vacances, préférant « les glaces à la vanille, les slips de bain, le sable entre les orteils, les pizzas surgelées et la télévision ». Quelle belle image du bonheur, non ? Bref, ce sont désormais des espaces qui ont perdu leur identité, leur âme, qui ne sont ni campagne, ni ville, ni banlieue.
Le narrateur a fait partie des derniers à profiter de cette campagne, peut-être est-ce une chance, je ne sais pas : « Dans mes forêts oubliées, mes bois de deuil à l’avenir condamné, je goûtais la chance d’être le dernier amoureux, le seul amant de mes richesses. »
Il y retourne encore, en secret, parce qu’il connaît des coins, des terres, des bois rescapés, parce qu’il se sent appartenir à cette nature : « Quand on fait partie de la nature, comme moi, on ne se pose plus la question de l’aimer ou pas. La nature, j’en suis. »
Finalement, plus que l’histoire de Quentin, j’ai aimé l’évocation de ce que le narrateur a vécu comme une trahison, une dépossession, un viol, quelque chose dont on ne se remet jamais vraiment, parce que ça a à voir avec l’enfance et avec le bonheur… On peut toujours courir après, y retourner le week-end en famille, ça ne sera plus jamais pareil, de toute façon…


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le 11 sept. 2016

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