De même que bien des amateurs de musique classique méprisent à tort les opérettes, de nombreux lecteurs assidus de classiques littéraires rejettent les comédies, genre impropre à la haute image qu'ils se font d'une littérature éthérée. C'est selon ce principe que des auteurs comme Feydeau ou Labiche ne sont toujours pas reconnus à leur juste valeur.
Et pourtant, rien n'est plus difficile que de faire rire. Lire une pièce de Feydeau, c'est se rendre compte du travail gigantesque accompli par un auteur qui ne laissait rien au hasard.
D'abord dans les dialogues, qui constituent, bien entendu, la base même du théâtre. Feydeau cherche à donner à ses dialogues le ton le plus juste. Pas de théâtre littéraire, de personnage qui parlent en alexandrins. Non, mais au contraire un travail sur la langue pour qu'elle soit la plus quotidienne possible. Les personnages de Feydeau parlent comme n'importe qui, ils ont des expressions favorites, des jurons, des onomatopées, et même des approximations grammaticales. Il est facile de remarquer cela et de se dire que Feydeau ne serait pas un grand auteur sous le prétexte que ses personnages ne s'expriment pas comme dans les livres (c'est comique, d'ailleurs, de constater que les mêmes qui rejettent Feydeau ou Labiche sous le prétexte que leurs personnages sont vulgaires se pâment devant Shakespeare, dont le texte original est rempli de calembours et jeux de mots salaces, y compris dans les plus sombres tragédies). Mais pour un écrivain, il est beaucoup plus difficile d'être naturel comme cela que d'être "littéraire". faire parler ses personnages de cette façon est un défi, un travail sur le langage.
Un travail également sur le rythme. Les pièces de Feydeau sont des mécaniques infernales. Généralement très courtes, il suffit de deux scènes pour mettre en place les engrenages, et ensuite tout découle naturellement, les scènes s'enchaînant avec une logique implacable et selon un rythme soutenu.
Mais là où le travail de Feydeau est le plus évident et le plus important, c'est dans les didascalies. Elles sont quasiment plus nombreuses que les paroles des personnages, mais elles sont indispensables. C'est là que l'on peut admirer le sens du détail, l'organisation, l'imagination de l'écrivain. Le jeu sur la position des personnages, sur les gestes, sur l'emploi du décor, sur le rythme, tout est là. On voit que Feydeau a réfléchi à chaque coup porté.
Car chaque pièce est un coup porté contre la bourgeoisie et ses "valeurs". Lisez On purge Bébé ! La famille, l'adoration idiote portée à des enfants gâtés à qui on pardonne les pires horreurs, l'obsession de la vente et de l'argent, le tout démonté méthodiquement en une cinquantaine de pages.
Faire rire est un travail particulièrement difficile. Contrairement aux inepties que l'on nous balance de nos jours en faisant passer cela pour de l'humour, le comique nécessite d'être précis, minutieux, organisé. Les films les plus difficiles sont les comédies (et généralement, ce sont les films sur le tournage desquels on rigole le moins).
Toutes ces qualités étaient celles de Feydeau.
Bien entendu, un texte de théâtre n'est que la moitié du genre. Bien entendu, tout dépendra aussi du travail de mise en scène et d'interprétation. Mais la lecture de ces pièces est déjà un régal en soi.