En novembre 2013 je suis allée voir Tout le ciel au dessus de la terre au théâtre de l'Odéon. Je m'y suis rendue par hasard, je ne connaissais pas Angélica Liddell et j'imagine que le titre m'avait plu. Après la représentation je me souviens avoir observé longtemps la foule des spectateurs. J'étais à la recherche d'un regard, d'une expression qui pourrait s'adresser à moi et dire : « oui, moi aussi j'ai été touché ». Je cherchais quelqu'un qui n'avait pas seulement éprouvé de l'émotion, mais qui avait été littéralement touché, dans le sens d'être touché comme on peut l'être par les balles d'un pistolet.
Sentir tout le ciel au-dessus de la terre, c'est se sentir envahi par la mélancolie, rattrapé, même lorsqu'on l'a fuie au bout du monde. C'est un ciel avec un soleil noir, sous lequel le passé ne passe pas, mais dans lequel il reste quelque chose, une mémoire où trouver de l'énergie. C'est ce que disent les vers de William Wordsworth qui reviennent tout au long du spectacle : « Si rien ne peut ramener l'heure/ De la splendeur dans l'herbe, de l'éclat dans la feur/ Au lieu de pleurer, nous puiserons/ Nos forces dans ce qui n'est plus »
Lorsque l'on observe le texte écrit, la temporalité de la pièce se construit différemment. Le soir de la représentation j'avais principalement ressenti trois temps longs : la masturbation, les valses et le soliloque, liés par de courtes interventions des comédiens. À la lecture, la pièce apparaît divisée en tableaux beaucoup plus nombreux, proposant chacun une forme littéraire singulière (une berceuse, un dialogue, un poème sériel, un article journalistique, des titres de valses, une interview, une chanson, un monologue court et un monologue long). Encore une façon d'aller vers le multiple, de collectionner des preuves hétérogènes pour agencer la série de symptômes qui, tout à coup, s'alignent et permettent de diagnostiquer la pathologie de Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy).