Je t'aime, ô capitale infâme ! (Charles Baudelaire)

Voilà un ouvrage de fort belle facture et très agréable à parcourir, proposant une manière autre de se promener dans Paris et avec d'autres points de repère que ceux auxquels l'on est généralement habitué.
Le principal regret viendra du fait qu'il semble bien que ce qui est talentueusement exposé ici, fasse désormais partie du passé. Tout le monde sait fort bien que la catégorie de personnages évoqués ici a été, littéralement, chassée de Paris; tous ces esprits peu conciliants avec les formes diverses de la domination ont été, fort efficacement, incités à porter leurs pénates en d'autres lieux.
Mieux encore, le dressage marchand organisé de la jeunesse a déployé toutes ses forces pour éviter l'émergence d'aussi mauvais "citoyens". Le touriste peut donc désormais baguenauder (trainer son ennui) tranquillement et enrichir le commerce local. Plus généralement ce sont les pauvres qui ont été chassés de Paris et priés de s'entasser ailleurs (les odeurs, disait l'autre). Qui sait à qui peuvent bien appartenir maintenant tous ces immeubles parisiens devenus si "tranquilles" ?
Le style de Claire Auzias et de ses co-auteurs, pour ces balades en un Paris autre, est très plaisant : on sent chez eux la parenté avec toutes les mauvaises têtes évoquées ici. Qui ne s'en laissaient pas conter ...
Quelques extraits choisis au hasard dans ce livre décidément très sympathique :
- "Françoise Goupil 23, rue Serpente
L'épouse de Hébert, le père Duchesne, est-elle l'auteur des Lettres bougrement patriotiques de la mère Duchesne ? Probablement.(...)
Ces journaux furent publiés par Guillaumet, rue Serpente, en 1791 : "Je disais donc, continue la mère Duchesne, que nous ferons un club avec ces dames et toutes celles qui auront la force de boire une bouteille sans broncher, ce sera la seule épreuve de réception."
- "Caserne de la garde républicaine, 2 rue Tournon (actuel numéro 10)
Bakounine vécut à Paris de juin 1844 à novembre 1847, où il fut expulsé à la demande de l'ambassadeur de Russie. La révolution de Février 1848 le ramène à Paris et il s'installe, le 26 février, à la caserne du numéro 2 de la rue Tournon, à deux pas du Luxembourg. Il y resta un mois, "un mois de griserie" selon ses mots.
"Non seulement j'étais comme grisé, mais tous l'étaient : les uns de peur folle, les autres de folle extase, d'espoirs insensés. (...) j'aspirais par tous mes sens et par tous mes pores l'ivresse de l'atmosphère révolutionnaire. C'était une fête sans commencement ni fin ... "
- "En quarante années de "la dernière des républiques", les promoteurs ont réussi là où les nazis avaient échoué en 1944 : éventrer Paris. (...) il ne faut plus s'étonner d'une architecture aveugle à l'environnement, amnésique à l'histoire et insensible à la poésie.
- " Patrick Cheval (1947-1991) 90, quai de la Loire
Au 90, quai de la Loire est une vieille maison, décrépite par périodes. C'est là que vécut quelques saisons Patrick Cheval, poète anonyme, buveur très illustre, valeureux pêcheur et impeccable aventurier de la "bonne vieille cause", dans un studio sous les toits au fond de la cour. Parmi quelques productions de qualité, (...), un slogan bien senti qui court les mondes rebelles depuis , "Tant qu'il y aura de l'argent, il n'y en aura jamais assez pour tout le monde."
En Vingt Arrondissements, imagé par Golo.

Créée

le 23 juin 2014

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