L’auteur : Slameuse et parolière, Julie Lamiré a déjà prêté sa plume à de nombreux talents, comme Anggun ou Émilie Simon. Un foyer est le premier roman de cette Parisienne de trente-sept ans, paru en 2016.


Le livre : Sarah, la quarantaine, a décidé de se réorienter professionnellement. Cette mère de famille a démissionné un an plus tôt, alors qu’elle travaillait dans la gestion. Après une reprise d’études dans le social, elle est embauchée dans un foyer pour mineurs isolés. Dans cet établissement vivent des adolescents sans papiers arrivés seuls sur le territoire, comme Ibrahima, quinze ans, né au Mali, qui est analphabète. Il y a également des jeunes placés à la demande de leurs familles, « qui n’y arrivent plus ». Avec d’autres éducateurs avec lesquels elle va particulièrement bien s’entendre, comme Nordine et Fatoumata, ils vont faire leur possible pour aider ces jeunes en difficultés à s’insérer dans la société.


Mon avis : Dans ce foyer de la région parisienne, les éducateurs, très investis dans leur mission, ont pour objectif de réparer ces enfants blessés par la vie. Le lecteur va donc passer par un tas d’émotions : colère, tristesse, empathie, ou encore incompréhension, mais aussi de réels moments de joie. Ces adolescents ayant perdu leurs repères pour des raisons diverses, Sarah, Nordine et Fatoumata vont tenter de leur redonner un cadre. Mais pour cela, il faudra les pousser à aller de l’avant sans les brusquer. Il faudra également les aider à s’insérer socialement – donc scolairement dans leur cas – ce qui sera possible grâce à la bienveillance de M. Perrec, le principal du collège dans lequel ces garçons sont affectés. L’intrigue est rondement menée, alternant moments douloureux, où le tragique de la situation de ces jeunes est mis en avant – sans jamais tomber dans le pathos –, et moments plus légers, où l’on s’aperçoit qu’ils sont toujours des enfants, capables malgré tout de rire, et que la vie est devant eux et l’espoir possible.


Les personnages nés sous la plume de Julie Lamiré sont, à mon sens, le point fort de ce récit. Il y a donc tout d’abord Sarah, qui élève seule sa fille adolescente. Arrivée à un tournant de son existence, elle s’est remise en question et est partie dans une voie professionnelle tout autre. Bien qu’inquiète à l’idée des situations face auxquelles elle va se retrouver, Sarah s’engage sans mesure pour les jeunes de ce foyer, en particulier avec Ibrahim, pour lequel elle ne comptera pas le temps qu’elle lui consacrera pour l’aider dans son apprentissage des bases de la lecture, de l’écriture et des mathématiques. Nordine, éducateur franco-marocain, est un peu la figure paternelle de ces jeunes en pertes de repères. Fatoumata, vingt ans, est encore étudiante, et travaille donc au foyer dans le cadre d’une alternance. Arrivée en France grâce au regroupement familial alors qu’elle était une enfant, elle comprend mieux que personne ce que vivent ces jeunes et ne cessera jamais le combat pour qu’ils parviennent à s’intégrer dans la société. Trois adolescents sont particulièrement mis en avant. Outre Ibrahima, le Malien que j’ai évoqué plus tôt, il y a Kevin, angoissé et très influençable, qui se scarifie pour évacuer son mal-être, à savoir des parents alcooliques incapables de s’occuper de lui. Enfin, il y a Rayan, dont le père est décédé et la mère en dépression. Violent, il n’hésite pas à faire du trafic et à se droguer. Mais en apprenant à les connaître, le lecteur se rendra compte que ces trois garçons n’ont pas un mauvais fond, qu’ils n’ont juste pas été épargnés par la vie.


L’écriture de Julie Lamiré est très fluide. Par le biais de chapitres très courts, elle parvient à donner la parole à ses personnages tour à tour, de façon à ce que ce soit caractéristique pour chacun d’entre eux, sans jamais tomber dans le ridicule ou le cliché. Elle réussit à traduire parfaitement l’incompréhension des uns (par exemple celle d’Ibrahim, qui ne conçoit pas que les élèves puissent répondre à leurs professeurs, lui qui a été scolarisé dans une madrassa lorsqu’il était au Mali et qui a traversé mille et un périls avant d’arriver en France), la révolte d’autres (Rayan n’a par exemple pas sa langue dans sa poche, et n’hésite pas à employer un vocabulaire plus que grossier, car il a l’impression que les dés sont pipés et que son avenir est tout tracé) ou encore la volonté de combattre les injustices (et pour cela, Fatoumata ne reculera devant rien). L‘auteur parvient à nous présenter ce foyer comme une grande famille de substitution, dans laquelle il y a bien sûr parfois quelques heurts, des violences même, mais où les maîtres mots sont respect, entraide et tolérance.


À recommander : Un foyer plaira sans aucun doute aux amateurs de roman contemporain qui prennent aux tripes, et qui souhaitent faire la rencontre de ces personnages criants de vérité – car il est certain qu’il existe de nombreux Ibrahima, Rayan, Kévin, Nourdine, Sarah et Fatouma.


Une citation : « Mais je n’ai pas à juger les autres, tu comprends ? Les gens font ce qu’ils veulent. Qui sommes-nous pour approuver ou désapprouver ce qu’ils font ? […] Dans la vie, il n’y a pas de bien et de mal, reprit-elle. Il n’y a pas de gentils et de méchants. Tout évolue, tout change, tout est infiniment complexe. » (38 %)


Ma chronique : https://loasislivresque.wordpress.com/2016/07/08/un-foyer-julie-lamire/

Créée

le 8 juil. 2016

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