Ce livre de Thomas Sotto m'a été offert par un ami il y a quelques temps déjà, plus pour se moquer gentiment de mon amour inconditionnel à l'endroit de Roger Federer que pour m'introduire aux qualités littéraires de Thomas Sotto. Lu en moins de deux, le livre traîne toujours sur l'une de mes étagères, la simple vision de sa tranche ne manque jamais de raviver chez moi une forme de consternation amusée et incrédule. Mais voilà, ce navet dépasse régulièrement la moyenne dans les différents sites de notations, c'est agaçant.


Passons rapidement sur la laideur de la couverture : Sotto a-t-il cherché la pire image de Federer existante? Où était-ce la seule image libre de droit disponible tant sa commercialisation parait illusoire? La raquette comme une guitare ? Terriblement original. Le costume impeccable, le fond blanc, le sourire satisfait, la pose, les cheveux au vent, rien ne va. Enfin, on ne juge pas un livre à sa couverture, quoique le contenu de celui-ci nous fasse regretter de ne pas y avoir vu un sérieux avertissement.
Ne vous méprenez pas non plus sur les 220 pages ; dans un format un peu plus standard, sans ses marges disproportionnées, sa police malhonnête et son remplissage constant, le livre n'aurait pas dépassé les 100 pages. La lecture est certes consternante mais le mal-être est court.


Que contient donc ce livre? En terme d'analyse tennistique, rien ou presque. Mise à part une pâmoison continuelle sur l'aspect "aérien" de Federer, c'est-à-dire l'impression visuelle principale que dégage ce joueur et qui a été tant répétée par tous les observateurs et dans toutes les langues du monde, on peine à tirer de quelconques enseignements de cette lecture. La structure de l'ouvrage n'est que le prétexte à une succession de flatteries éculées : Federer est bon joueur dans la défaite comme dans la victoire, est un businessman incroyable, est un père génial, a une femme exceptionnelle, est doté d'un humour débordant, a gardé son âme d'enfant, a révolutionné le tennis, a-eu-une-période-agitée-au-début-de-sa-carrière-mais-est-devenu-un-travailleur-hors-du-commun etc etc. Aucune mise en perspective, aucune analyse critique, aucun développement technique, aucun approfondissement sur l'évolution du jeu. En fait, toutes les anecdotes, les records et les qualificatifs employés dans ce livre semblent tirés de la première page de résultats d'une recherche Google qui aurait eu pour audacieux mot-clés : "Roger Federer".
On commence donc à se demander : "pour qui peut bien avoir été écrit ce livre?" Pour un public qui ne connaîtrait rien au Tennis et à Federer, on ne voit pas pourquoi il achèterait ce livre à la base, mais il n'apprendrait assurément rien d'utile. Pour les grands amateurs de Tennis, le livre est un florilège d'anecdotes sans intérêts. Pour les amoureux de littérature sportive, la qualité d'écriture se révèle plate et sans intérêt. Pour les grands fans de Federer, le livre ne leur apprend rien qu'il ne savent déjà. Alors à part peut être les plus fanatiques de cette dernière catégorie, qui trouveront dans cette lecture la jouissance de voir leur avis confirmé par un journaliste médiatique, je ne vois pas bien qui peut apprécier ce livre.
En réalité T. Sotto ne l'a pas vraiment écrit, ce livre. Je ne doute pas que cela soit lui qui ait couché les lignes, mais sa démarche s'est limité la plupart du temps à interroger des personnalités médiatiques acquises à l'amour de Federer (Anne-Sophie Lapix, Bernard Arnaud, Raphaël Enthoven...), prêtes à nous dire que la sueur du suisse ne pue pas (sans rire) et qu'il ou elle a eu l'immense distinction d'avoir tapé la balle avec lui. A Thomas Sotto le dur labeur de retranscrire leurs propos tels quels, dans une adhésion totale. Ne cherchez pas d'interview exclusive de Nadal, Agassi, Mc Enroe ou autres personnalités mieux liées au tennis. Ne cherchez pas non plus un début de réflexion critique sur, par exemple, les revenus publicitaires des grands sportifs, et sur la rémunération dans le tennis professionnel en général. Vous trouverez par contre le récit introspectif de l'excitation infantile de Sotto lorsqu'il a interviewé le maestro à un moment de sa carrière sur les ondes, interview plate et vide au demeurant, mais ça le journaliste n'a pas pris le temps de l'écrire ou de le remarquer.
Et finalement, même cet ouvrage écrit à la gloire de Federer manque ce but là. Piètre hommage en réalité que ces commentaires douteux issus de personnes douteuses pour le joueur suisse, servis dans un style qu'un dictaphone aurait sans nul doute mieux assuré. Car même dans ses éloges, le livre est plat, il réussit à manquer de subjectivité dans une entreprise au demeurant totalement subjective. A la louange succède l'éloge mais toujours sans foi, sans passion communicative, sans arguments originaux, presque sans avis; seulement des clichés connus de tous, des statistiques (mot flatteur pour ce qui n'est que l'énonciation d'un palmarès) tout aussi connues, entrecoupées de faits parfaitement banals élevé sans raison à la gloire du Suisse (on pense à la "tape dans le dos" de l'adversaire que pratique Federer après une victoire, geste éculé et presque universel élevé dans ces lignes en témoignage incontestable de son fairplay particulier). Le tout dans un découpage confus, sans fil conducteur et par moment, sans tennis.


Bref, c'est un produit éditorial dans lequel un zélote de Federer s'est lancé joyeusement mais paresseusement et qui vient confirmer merveilleusement bien l'une de ses propres affirmations : le clan Federer a une complète maîtrise de l'image du sportif. Son entourage ne donne pas d'info qu'il ne souhaite pas communiquer, construit une image lisse qu'il compte bien conserver et imposer, et ne laisse donc pas approcher de près le joueur qui est un produit marketing à part entière. Dernier enseignement : il faudra un journalisme bien plus talentueux que M. Sotto pour nous apprendre des choses nouvelles sur l'icône suisse.

HenriVign
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le 29 sept. 2021

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Henri Vign

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