Emira est une belle femme noire un peu perdue, sans ambition réelle, qui fait du babysitting pour une famille aisée de Philadelphie. Appelée à l’imprévu un soir alors qu’elle faisait la fête, un vigile pense qu’elle a kidnappé la petite Briar. S’en suit une scène improbable où « une femme noire à cette heure, habillée comme ça avec une enfant blanche, ce n’est pas normal »… Bienvenue dans le roman ! Cela vous met de suite dans le ton, ce marasme des apparences face à une volonté faite de certitudes voilées.
Vous avez Emira, jeune adulte sans le sou et sans réel avenir, Briar, l’enfant curieuse et avide de découvrir le monde, Kelley l’homme magnifique et sympathique, Alix, l’influenceuse lifestyle à la vie sans soucis, et j’en passe et des meilleurs. Pourtant comme je le disais, ne vous fiez pas à un tableau aux lignes trop belles.
Une époque formidable, celle que nous vivons où tout circule sur des réseaux sociaux, où chaque publication peut devenir virale et parcourir le monde entier en un rien de temps. Cette époque, c’est aussi celle d’un monde qui n’évolue pas, où le racisme sévit encore, où tout un chacun croit mieux savoir que son prochain ce qui lui sera le plus favorable.
La vraie problématique, ou plutôt la plus grande je pense que soulève ce roman, c’est cette capacité qu’on les gens à vouloir aider les autres sans demander auparavant. Cette volonté de faire le bien, de se mêler des histoires des autres ne cache qu’un ego non assumé, une condescendance qui s’écoule de chaque pore. En effet, au début du livre j’avais une certaine affinité avec Alix, comprenant ses choix de changer de ville, de nom, de cacher sa vie actuelle aux gens de son passé qui l’ont humilié et fait vivre un enfer. MAIS, et sans vous spoiler, nous partons au fil des pages vers d’autres problèmes, toujours plus de bonnes actions pour compenser de mauvaises volontés. Je me suis donc complètement détaché d’Alix pour vénérer Emira et son calme olympien.
Nous assistons à une montée en tension phénoménale, où nous connaissons le passé des protagonistes, ainsi que leur point de vue sur les évènements. Car tous, nous avons une vision différente d’un même moment, positif ou négatif, notre position définissant qui nous sommes. Alors quand des gens qui se détestent se retrouvent par hasard, en mode incognito, le spectateur que nous sommes est hyper mal à l’aise de connaître les secrets, mais surtout d’attendre que la soirée explose à cause des non-dits. Et insensiblement, vous prenez parti pour l’un ou l’autre, accablez l’un et pardonnez à l’autre. Sans l’avoir véritablement voulu, vous vous rendez compte que vous jugez les gens, voulez donner des conseils. Pourtant on ne nous demande rien de plus qu’être spectateur ! Et le cycle reprend, où la bonne conscience s’immisce dans la vie d’autrui … Le cycle éternel de l’Homme qui se mêle de ce qui ne le regarde pas.
Ce roman est diablement efficace, prenant, angoissant, révélateur d’une époque où l’image, le paraître, ne veut plus rien dire. Il ne faut pas juger sur l’aspect de quelqu’un, sa réputation, mais ce que vous apprenez d’elle. Fiez-vous à votre instinct, à vos amis, et non aux belles paroles et aux mains faussement tendues.
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