Il faut une certaine détermination pour parcourir les 850 pages de cet ouvrage avec quelque attention; le sujet est en effet d’une indéniable âpreté et la longue énumération des actes de cette terrifiante barbarie à l’œuvre est un peu dure à digérer. J’ai donc pris mon temps pour cette lecture, l’entrecoupant d’autres lectures plus agréables et plus facilement digestibles par la grâce desquelles j’ai pu parvenir à sa fin.
L’honorable Paul Preston, docteur en histoire à l’université d’Oxford, s’est fixé la tâche méritoire de présenter le panorama le plus complet possible des innombrables exactions consécutives au coup d’état militaire perpétré par les phalangistes en 1936 qui aboutit à la dictature franquiste laquelle, rappelons-le, se maintiendra jusqu’en 1975.
Le titre présente en lui-même une certaine ambiguïté. Peut-on parler de «guerre d’extermination» quand il apparait, dans ce livre même, que l’extermination est la visée préalable d’un seul des camps concernés. L’extermination est le fait des logiques totalitaires. Ici le camp fasciste et réactionnaire soutenu par la grande majorité du clergé catholique, les grands propriétaires terriens, la grande bourgeoisie ainsi que par l’armée qui est pour l’essentiel une armée coloniale qui s’est déjà illustrée par de nombreux massacres de masse au Maroc. Dès les débuts de la République en 1931, il apparait clairement que tous ces gens-là ne comptent nullement renoncer à aucun de leurs privilèges et sont prêts à tout pour saboter les processus démocratiques. Pour eux le peuple est fait pour servir, obéir, et ne doit disposer d’aucun droit. C’est sur cette base idéologique prétendant s’appuyer sur le catholicisme et se considérant donc comme sacré, et sur le fantasme récurrent d’une « pureté » nationale, que cette oligarchie va développer sa logique d’extermination de tout ce qui s’oppose à elle et à ses prétentions. Pour justifier cette politique d’annihilation, la junte va s’inventer une théorie du complot : complot « judéo-maçonnique-bolchevique » (contubernio) comme il se doit. La presse d’extrême droite lui en fournissant la matière en diffusant massivement des traductions espagnoles de l’absurde "Protocoles des Sages de Sion" dont tout le monde sait qu’il s’agit d’un faux qui fut fabriqué par l'Okhrana (la police secrète de l'Empire russe) en 1901. L’ouvrage inspira également le Mein Kampf de Hitler, la paranoïa se préoccupant peu de vérité.


L’extermination ne peut naître que d’un projet concerté qui cherche à se justifier idéologiquement dans son intention génocidaire : l’ennemi est conçu comme un bloc nuisible à l’intérieur duquel toute réalité individuelle est niée. On ne combat plus, on extermine des êtres à qui l’on refuse toute humanité et que l’on veut faire disparaître. Cela est le fait totalitaire et ne peut en aucun cas être mis sur le même plan que les exactions de petits groupes inorganisés cherchant le pillage ou la vengeance du coté républicain.
La seule autre volonté d’extermination dans cette guerre d’Espagne, en dehors de celle du camp fasciste, est celle que manifesta le parti dit communiste, sous contrôle stalinien, contre le mouvement révolutionnaire représenté principalement par les anarchistes et par le P.O.U.M (auquel appartiendra George Orwell), à partir de 1937. On ne sera pas surpris de rencontrer là une autre visée totalitaire mais l’on s’étonnera, par contre, du peu d’importance qui lui est donnée dans ce livre. Je conseille en passant, outre l’incontournable « Hommage à la Catalogne » du même Orwell, la référence historique indispensable que constitue «La Guerre d'Espagne, révolution et contre-révolution » de Burnett Bolloten.
On sera aussi un peu interloqué à la lecture de ce livre par le total désintérêt de l’honorable Paul Preston pour le fait révolutionnaire, pourtant si important pour la compréhension de cette guerre d’Espagne. Il est vrai que l’esprit révolutionnaire se pose toujours, lui, dans un Commun, une vision d’une société où chacun aurait sa place et sa chance ; c’est pourquoi toute idée d’extermination systématique lui est étrangère.
Pourtant, on sent bien que notre brillant universitaire éprouve peu de sympathie pour cette cause et ses partisans. Ainsi, on trouve au sujet de Barcelone cette formulation : « Les quartiers ouvriers et les banlieues industrielles sont aux mains des masses anarchistes » (p.561). Pourquoi ne pas dire plutôt que la grande majorité des ouvriers, du prolétariat, était anarchiste, tout simplement. Ces mêmes anarchistes qui fourniront, avec le P.O.U.M, une grande part de l’effort de guerre et se feront tuer par dizaine de milliers pour défendre une république qui leur en fut très peu reconnaissante durant toute son existence.


Ce que révèle ce livre et qui reste à ce jour encore peu connu, c’est que la destruction de toute forme d’opposition se prolongea bien après la fin de la guerre contre des civils désarmés. Exécutions sommaires, tortures, viols et pillages se prolongèrent avec une grande intensité jusqu’en 1945, c'est-à-dire jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale « Dans de nombreux cas, les arrestations et assassinats sont recommandés par le curé de la paroisse. » (p.625)
La dictature franquiste ayant perdu ses alliances étrangères avec la défaite des nazis, la fin de la dictature mussolinienne en Italie et celle du régime de Vichy en France (régime qui livra de nombreux opposants à l’Espagne tout en sachant qu’il les condamnait ainsi à une mort certaine), dut adopter un profil plus discret ; même si « La persécution systématique continuera dans presque tous les aspects du quotidien jusque dans les années 1950. » (p.702)


Si certains s’étonnent de l’extraordinaire tolérance dont bénéficia le boucher Franco et son régime d’assassins par les puissances dites démocratique dans cet après guerre, l’explication est à trouver probablement ici : « La rhétorique de Franco sur la nécessité pour les vaincus d’une rédemption par le sacrifice, offre un lien clair entre la répression et l’accumulation de capital qui rendra possible le boom économique des années 1960. La destruction des syndicats et la répression de la classe ouvrière entraînent des salaires de misère. Cela permet aux banques, à l’industrie et aux propriétaires terriens d’enregistrer de spectaculaires hausses de leurs profits. » (p.703)


L’auteur aborde pour finir le problème du déni historique qui fut inculqué à l’Espagne pendant plusieurs décennies par la dictature franquiste. Pendant toutes ces années, l’enseignement devint pure propagande mensongère, falsification systématique des faits. Le régime fabriqua de toute pièce un récit historique attribuant aux vaincus ses propres crimes et sa barbarie extrême. C’est pourquoi il reste si difficile d’aborder le souvenir de cette guerre en Espagne où le refoulé et le sentiment de culpabilité concernant toute cette période reste extrêmement fort. La tentative de l’oubli est pourtant grandement illusoire puisqu’elle ne peut se réaliser que par l’amputation d’une part notable de sa propre réalité, condamnée alors à rester bancale et inaccomplie.


Un ouvrage d’un indéniable intérêt documentaire qu’il faudra toutefois compléter par d’autres lectures pour se saisir pleinement de ce moment d’histoire essentiel.

steka
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le 8 nov. 2016

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