Comment le nommer ? Balayeur, technicien de surface, cantonnier ?
Dans les rues de Fribourg, en Suisse, Michel Simonet nettoie. Oh, il ne fait pas que ça, non ! Il trie, photographie les touristes, aide à porter les bagages, indique les directions, témoigne, éduque, discute, regarde le ciel quand il a le temps.
Contrairement à beaucoup, il a choisi son métier par vocation : avant d'être cantonnier, il travaillait dans des bureaux mais vivre enfermé, non, ce n'était pas pour lui : « j'occupais en tout premier lieu un poste bureaucratique climatisé-aseptisé que j'ai volontairement quitté pour oeuvrer manuellement sous un ciel variable. »
Alors, il a suivi une logique « d'ambitieux à l'envers » et il a pris un « descenseur » direction la rue, l'extérieur, l'air libre... (J'allais écrire la liberté mais à mon avis, je n'avais pas tout à fait tort!) Queneau ne rêvait-il pas, lui aussi, d'être balayeur de rue ?
Le balayeur, écrit-il « ne fait pas partie des puissants, des influents, des décideurs. Avec lui, pas de danger d'ambitions concurrentes, et les Comment ça va , grand chef ? qui lui sont adressés ne font que confirmer qu'il n'en est pas un. L'innocuité se lit sur son apparence sans apparat. Il ne cadre pas avec la vision classique de la réussite où le statut social est tellement nécessaire à l'équilibre existentiel. A proprement parler, il n'emmerde personne. Au contraire, il la ramasse. »
Et pourtant, il faut en convenir, pas facile de se faire admettre dans un monde qui n'est pas le sien. Trop qualifié pour faire ce boulot ! Dépressif ? Même pas ! Idéaliste ? Un peu, comme tout le monde ! Alors quoi, de toute façon, il ne tiendra pas le coup. L'hiver, c'est dur.
Depuis 29 ans, Michel Simonet nettoie, frotte, racle, ramasse, trie, bien heureux de cette évidence : « On ne naît heureusement pas tous avec les mêmes envies. »
Dans son métier, pas trop de concurrence, c'est l'avantage !
Maintenant, il connaît tout du trottoir (il en arpente 15 kilomètres par jour) : il repère très facilement les braillards et les débraillés de la première heure, le verre cassé et le vomi, les sacs-poubelles, les papiers, les cageots, les canettes, les tags et les graffiti (deux exemples, pour le plaisir : L'argent ne fait pas le bonheur… des pauvres ; Jésus a dit : Péchez, sinon je suis mort pour rien.) Il croise aussi les gens, ceux qui rient ou qui pleurent, ceux qui ont besoin de parler, de se confier… Il y a les livreurs et les clochards, les prostituées et les vendeuses. Il écoute, observe, est attentif au monde, aux autres… L'école de la rue… « apprenti sans certificat et aux vastes matières, éternel étudiant sans pupitre et sans toit mais à tête reposée, disciple aux nombreux maîtres passants, tels sont les titres au cursus incertain mais formateur que le trottoir confère. »
Il faut dire qu'il est aussi poète… Un inventaire à la Prévert ? Pas besoin de chercher bien loin, vous n'imaginez même pas tout ce que l'on peut trouver dans une poubelle : chat, rat, corbeau, pigeon, coq morts, fruits (donc guêpes vivantes l'été), canettes à gogo, parapluies, vêtements et même, belle mise en abyme, une poubelle… et dans la rue : chaussettes, porte-monnaie, cuillers, slips, lunettes, gants, sacs, cigarettes... mais à la différence de certains chiffonniers de Paris dont nous parle Antoine Compagnon dans son dernier livre, le trésor qu'il recherche, ce n'est pas le bijou en or ou le couvert en argent qui lui permettrait de faire fortune, ce sont :
« de fortes amitiés,
le cadeau de la simplicité, la paix du coeur,
la vie au jour le jour,
la grâce de l'instant présent. »
Il finirait par nous faire rêver, cet homme qui aime la poésie de la rue, écoute les paroles qui volent en l'air, rapporte les consignes de bouteilles pour s'acheter un Pléiade par mois (oui, oui, les livres!) Il est « balayeur et fier de lettres » et pose une rose chaque jour au coin de son chariot parce que c'est beau, lui dont le maître-mot est le travail bien fait : « Ce que tu fais, fais-le suprêmement » écrit Pessoa qu'il aime citer. Même en vacances, il ne peut s'empêcher de ramasser ce qui traîne. C'est comme ça, on ne le refera pas…
Magnifique petit bijou-livre d'un poète-cantonnier-chansonnier ou d'un philosophe-cantonnier-sociologue, véritable jongleur de mots, amoureux des vers, homme simple, paisible et de bon sens, qui nous dit dans une langue pétillante et si belle tout le bonheur de son quotidien.
Ce n'est pas qu'on l'envie, non, mais…quand on y réfléchit bien, on se demande qui a raison...
Allez, je ne peux m'empêcher de vous livrer cette petite réécriture de son cru, vous m'en direz des nouvelles…


Itinéraire


Heureux qui, balayeur, fait d'utiles voyages
De trottoir en trottoir et rose pour Toison,
Et qui a peu besoin de monter en avion
Pour saisir au global le monde et son usage.


Plutôt l'observation que le kilométrage,
Plutôt s'imprégner de routinières visions
Et transformer ma rue en lointain horizon
Tenant pour familiers toute race et tout âge.


Plus me plaît de servir comme ont fait mes aïeux,
Par temps clair, par temps gris, torride ou rigoureux,
La Terre de Fribourg, germanique-latine.


Plus que longues soirées vivre au petit matin,
Plus que l'ordinateur la vue d'êtres humains
Et plus mon char poussif que moderne machine.


                                            Joachim du Balai

Je vous salue bien bas, monsieur le Cantonnier...


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le 5 avr. 2018

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