« Qu’est-ce que je fais là ? », se demanda-t-elle, arrivée au pied de la rampe de béton précontraint.
Elle terminait un mauvais apéritif orange conditionné en petites bouteilles façon champagne, et dans l’habitacle de sa Ford rouillée montait la fumée d’une Rothmans consumée par défi.
« Ce grand cirque ne dépend pas de moi », maugréa-t-elle en claquant la porte. Ses cheveux ayant poussé sans soin depuis plusieurs mois où elle s’affairait à régler le chaos des internets, la pluie ne la dérangeait pas.
Maintenant, c’était une autre histoire : elle était devant la rampe de l’aérotrain, bolide chromé qui n’avait jamais vu le jour et dont la destinée était de reformer la France, d’annuler la Beauce comme disait Philippe, et elle attendait que bruisse l’objet posé là par des fous, jamais ôté des champs, sans doute pétri des rêves promis et des détestations, muet et borné, défiant celle qui demanderait sincèrement un accès vers la fomentation des complots internes les plus dangereux. Cela faisait beaucoup, sonnait trop long, pesait son poids.
Sur le siège avant, empoussiéré par la dernière balade dans les carrières, patientaient en quinconce Une vie en l’air, Un livre blanc et Carte muette de Philippe Vasset… cet ingénieux insaisissable. Il l’avait plantée là le week-end dernier, de passage dans son coin, plantée poliment, fermement. Avec la douceur asociale déterminée de ceux qui se sont inlassablement employés à déplacer les indices de réussite modernes. Elle n’en saurait pas plus, ne serait pas son amie, n’aurait pas fait baisser sa garde. Ces fâcheux accidents se produisaient encore.
Habituellement, dans son théâtre intime où elle parlait seule et bien fort, tous lui cédaient, elle s’en trouvait donc décontenancée, mais pas démissionnaire.
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