C'est trop clic-clic
Mon Ted™ est vidé de son liquide nutritif. Premier réflexe du matin, j’enfile mes lentilles de contact AugEyez™ qui me permettront de me donner l’illusion que le monde n’est pas cloisonné à ma pièce...
le 27 oct. 2019
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250 pages de vide, 250 pages de néant, 250 pages de rien. Je commence page 1, la page est blanche, je tourne la page elle est blanche, je tourne encore et encore, j'examine attentivement chaque page. Elles sont blanches. Je tourne la dernière page, elle est blanche pas de conclusion, pas de mot fin, juste une page blanche. Je fais alors un rapide examen de conscience puisque rien n'est vrai, qu'il n'y a aucun Dieu, que l'inconvénient d'être né est palpable à chaque instant pourquoi me forcer à regarder des pages blanches. Je laisse alors s'élever, se dissoudre et se diffracter mon esprit vers le centre des êtres, l'endroit magique où nous nous retrouvons toustes. Abstraction irréelle ou mirage fantasmé, tentation d'un improbable rêve, d'une possible réunion. Ce que j'y découvre est identique à ce que je vis. Sensiblement les fondamentaux sont les mêmes. Des êtres morts ou vivants enfantés par les éons parcourent chacun pour soi un livre dont les pages sont blanches. Un livre qui se déroule comme un parchemin infini. Dans cet espace ni Paradis, ni Enfer, ni cosmos, ni éther iels déambulent normalement ou pieds en l'air, à l'horizontal, ou à la verticale, parfois entremêlé.e.s puisque sans consistance, parfois distant.e.s, il n'y a pas de gravité, pas de sens ni de contresens, pas de visage non plus, seulement, pour chacun.e, une bouche béante qui semble avaler le livre ou bien est-ce moi qui les perçois comme ça. Silhouettes presque blanches elles mêmes sur fond blanc. Tendance à disparaitre vers quelque chose qui ne peut être matérialisé par cinq sens. Je décide alors de m'éloigner en périphérie tout en gommant la perception faussée, artificielle puisque émanation de la psyché, de fuir le centre. La pensée évolue alors vers un tourbillon de matière et de vide cosmique, maelstrom bouillonnant, fusionnant, en mouvance perpétuelle, en évolution permanente. Je retrouve tout dans le crépitement du grand chaudron céleste mais toujours je perçois les palpitations du centre. Il avale tout ce qui l'environne. Toutefois le voyage est rassurant, on peut échapper, on peut résister à l'affaissement. Le centre ne peut capter ni digérer l'infini. Il n'est, ne sera jamais à satiété mais le plat est trop gros, même pour lui.
Toi qui lis le livre en même temps que moi, ou avant, ou après, tu sais aussi en conscience ou pas que tout cela n'a pas de sens si les pages sont blanches. Il te semble être assis dans un fauteuil, affalé dans un lit, sur un banc dans un parc, appuyé sur une barre métallique dans un wagon quelconque qui te conduit vers un endroit quelconque. Tu vois des mains qui tiennent un livre, des doigts qui tournent des pages. Dis moi pourquoi lis-tu un livre aux pages blanches, un livre qui nous ramène au tunnel, qui nous pousse vers un précipice, qui nous tire vers le centre ? Que cherches-tu vraiment ? Après tout je suis idiot peut être vois-tu encore les lignes noires sur fond blanc, ses êtres évoluant sur cet espace en deux dimensions que constituent les pages que tu tournes, les idées qui te nourrissent. Rassure toi petit à petit les lignes vont disparaitre et tu ne verras bientôt plus que des pages blanches. Page 1 une page blanche, tu tournes encore et encore, tu examines attentivement chaque page. Elles sont blanches. tu tournes la dernière page, elle est blanche pas de conclusion, pas de mot fin, juste une page blanche. Alors comme moi tu fermes le livre et le dépose sur une table, un banc, ou ailleurs.
Quand je referme ce Vie TM qui n'est pas un livre blanc au premier degré mais qui l'est au second, je me sens comme orphelin. L'auteur m'a abandonné et je suis seul avec mon désarroi. Le pessimisme dont fait preuve Jean Baret dans cette bataille contre les algorithmes pimenté par ce nihilisme, cette absence de Dieu qu'il nous démontre tout au long de plusieurs chapitres ne peut que conduire au vide....de nos actions, de nos existences, de nous mêmes, de nos espoirs ! L'humour noir, caustique, cynique et désabusé dont il fait preuve prête à sourire mais peut être nous confond il avec quelqu'un qui en a quelque chose à foutre mais il ne console pas bien au contraire. Nous sommes donc devant un roman/essai très dur et sans concession quand à notre futur car il prend naissance dans un présent sombre où l'homme ne se tourne pas vers son prochain mais l'utilise pour se gratifier. Les valeurs de partage et de fraternité font face à une inflation de l'ego et le virage à négocier pour échapper aux visions d'un Baret, Palaniuk ou Ballard va être capital.
Un grand livre donc, très noir, très flippant qui va rapidement devenir un classique dans l'univers littéraire des dystopies tragiques.
https://www.senscritique.com/livre/morttm/critique/274799785
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 livres de Science Fiction et DYSTOPIES / UTOPIES / UCHRONIES NO...tre FUTUR ! {LIVRES} End of the world !
Créée
le 25 août 2022
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