L'actualité est formelle (et Didier Super aussi) : on va tous crever. Entre la crise économique, les réserves de pétrole qui s'épuisent, les impôts (c'est un SCANDALE !), les pédophiles, les socialistes (donc), les terroristes narabes, la Chine qui monte, les Etats-Unis qui descendent, les OGM qui nous transgéniquent, le tabac qu'on peut plus fumer à cause des fascistes hygiénistes mangerbouger.fr, les poules qui choppent la grippe et les vaches qui jouent de l'entonnoir, les jeunes qui fument de la droge et qui écoutent du blaque métal, le réchauffement climatique, l'insécurité qu'y nous font, les hordes mongoles qui déferlent sur l'Occident, la conquête de l'espace au point mort (sauf chez les Chinois – putains d'Chinois !), la surpopulation, les femmes, la décadence de l'Europe chrétienne, le football, la République, l'oubli des Valeurs, les ch'tis, le téléchargement, GTA, la Nouvelle Chanson Française, Astérix aux Jeux Olympiques, et les extraterrestres qui ne se pointent toujours pas, en vérité j'vous l'dis : on est foutus. Fou-tus.
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CHAMPAGNE !
Autrement dit, c'est le moment idéal pour lire du post-apo (ou, à défaut, regarder des films de sous-Mad Max avec des Italiens ou des Philippins chevauchant des 125 customisées dans des carrières). Comme un avant-goût, quoi. En ce moment, de l'apocalyptique ou du post-apocalyptique, je m'en tape pas mal, d'ailleurs. Tenez, il y a peu, j'ai lu (et bien aimé) La Terre sauvage de Julia Verlanger. Une trilogie publiée originellement à la fin des années 1970, dans la mythique collection « Anticipation » du Fleuve Noir, sous le pseudonyme plus « viril » de Gilles Thomas, et que Laurent Genefort a eu la bonne idée de rééditer chez Bragelonne, en guise d'inauguration de sa collection des « Trésors de la SF ». De très chouettes romans de gare, sans prétention mais bien foutus et prenants, et qui ont eu leur petite influence.
Xavier Dollo, par exemple, est un fan. Rien de vraiment étonnant, dès lors, à ce que son premier (court) roman, publié chez « Rivière blanche » (une collection au nom pour le moins évocateur, mais je vous en avais déjà parlé à plusieurs reprises), soit signé « Thomas Géha » (un pseudonyme tout aussi évocateur), et sente bon l'hommage à la trilogie de Julia Verlanger (remerciée d'entrée de jeu). Si « l'apocalypse » n'a pas pris la même forme, les ressemblances sont en effet nombreuses. Le cadre est à nouveau la France dévastée d'après-demain (avec une prédilection pour la Bretagne, c'est original, mais ça s'explique...), et la population s'y partage en deux catégories : aux « groupés » de Verlanger correspondent les « Rasses » de Géha, moutons sous la coupe de loups qui sont tous autant de dictateurs en puissance, généralement, ici, des fanatiques religieux (« Fanars ») ou des fanatiques militaires (« Fanams ») ; mais certains préfèrent garder leur liberté, et survivre par leurs propres moyens : chez Verlanger, on parlait de « solitaires », ici, « d'Alones ». Le héros – et narrateur – est à nouveau un Alone, Pépé reprenant ici le rôle de Gérald.
Et c'est parti pour un périple débordant d'action, de dangers improbables et de cannibalisme. En l'occurrence, nous suivrons Pépé dans trois aventures différentes (les trois « parties » du roman ont une relative indépendance) : nous le verrons tout d'abord confronté à un groupe de Fanars ; ensuite, avec deux comparses, Pépé se rendra à Rennes (oui, oui, à Rennes !) où il aura maille à partir avec un (inévitable) mutant (on notera que Julia Verlanger, pour sa part, n'insistait guère sur ce thème) ; enfin, dans la troisième et la plus longue partie, Pépé se mettra sur les traces de Grise, l'Alone qui l'a élevé, qui lui a tout appris... et qu'il aime.
Rien de très original ni dans le fond ni dans la forme, donc, mais un plaisir somme toute comparable. Et il faut bien arrêter tout de suite les mauvaises langues : non, il ne s'agit pas de « plagiat », mais d'un hommage, honnête, assumé et enthousiaste, et finalement très sympathique. Ce qui – outre le métier – explique sans doute une profonde différence de ton : là où les romans de Julia Verlanger étaient dans l'ensemble très noirs, durs, déprimants (quand bien même ils visaient avant tout le divertissement), le ton est ici plus léger, voire humoristique. Le Pépé (un peu couillon, au passage) évolue en effet dans un monde nécessairement peu original (même s'il y a quelques chouettes idées ici ou là, comme les Nadrones, et surtout les voitortues, je n'en dis pas plus...), mais l'auteur sait en tirer parti, en multipliant les allusions et références souriantes à tout ce que la culture populaire a pu produire de plus enthousiasmant (comics, films d'horreur – bon, d'accord, là, il en fait peut-être un peu trop...), les clichés d'autant plus réjouissants qu'ils sont gros, les punchlines qui en pètent... Il s'autorise même une impressionnante private joke qui, on peut le dire, est une des publicités les plus originales que j'aie jamais vues. Tout cela est donc très geek (comme c'est qu'y faut dire, y paraît), mais aussi très frais : référencé mais pas servile, spontané, volontaire et parfois jubilatoire, honnête et sans prétention, ça se lit tout seul, comme un chouette roman de gare. Pari tenu, donc.
Bon, évidemment, ce premier roman n'est pas sans défauts : le manque d'originalité de la chose peut faire tiquer, l'optimisme relatif de même. Au-delà, je me trompe peut-être, hein, mais je ne serais pas étonné d'apprendre que ce roman a été écrit au fur et à mesure, et peut-être sur une durée assez longue : d'une part, cela expliquerait sans doute ses défauts de construction (les trois parties qui sentent un peu le fix-up, leurs conclusions souvent expédiées et pas forcément très crédibles... on notera d'ailleurs que chacune est à tous les égards plus ambitieuse que la précédente) ; d'autre part, le style de l'auteur m'a paru s'améliorer au fur et à mesure du roman : souvent maladroit dans la première partie, il est déjà plus correct dans la deuxième, et tout à fait convaincant et approprié dans la troisième. Me goure-je ? C'est fort possible...
Mais en attendant, ça me donne d'autant plus envie de passer à la suite, Alone contre Alone, que j'imagine plus aboutie. A comme Alone, avec ses défauts, étant déjà fort sympathique, ça s'annonce comme un très chouette divertissement.