Dans ses livres, Chuck Palahniuk aime à parler de création, et plus précisément de littérature, que ce soit dans le fond comme dans la forme.
Ce livre concilie les deux. Un programme très alléchant.
Je commencerai toutefois par le titre. Une fois encore, le titre en français est très maladroit, pour ne pas dire inadapté. Quoique le titre original « Haunted » n’est guère mieux à mon sens.
J’aurais préféré « La littérature sans estomac », mais il a déjà été fait par Pierre Jourde.
Dans Haunted, Chuck Palahniuk met en scène une résidence d’auteur extrême, en isolement total pour une littérature sans concession, où chaque participant mettra au monde son chef d’œuvre, en y mettant toutes ses tripes. Mais le problème avec Palahniuk, c’est que cette dernière expression peut être pris au sens propre comme au figuré. Car, comme dans tout roman de l’auteur, rien ne se passe normalement.
Palahniuk livre une fois encore des personnages extrêmes, en rupture. Des auteurs plus préoccupés par la gloire que par la création. Et ils sont prêts à donner beaucoup d’eux-mêmes, ou des autres, pour ça.
Chacun de nous transforme la réalité en fiction. La digère pour en faire un livre. Ce qui se passe sous nos yeux est déjà un scénario de long métrage.
Dans ce passage, Palahniuk parle aussi de lui. Comme il l’explique dans Le festival de la couille, l’auteur puise la majorité de sa matière dans la réalité, dans l’insolite et dans le faits-divers.
Sauf que cette manière de faire a ses limites. Une collection d’anecdotes et d’expériences extraordinaires ne fait pas un roman. Pour cela, il faut une cohérence, un souffle, une âme qui lie le tout. Palahniuk y arrive plus ou moins bien, selon ses ouvrages.
Certaines histoires, plus vous les racontez et plus vite vous les épuisez. L’effet dramatique s’évapore et, chaque fois que vous les répétez, elles paraissent plus idiotes et plus plates. D’autres, au contraire, vous épuisent. Plus vous les dites et plus elles prennent de force. Elles vous rappellent seulement à quel point vous avez été stupides. Combien vous l’êtes. Et le serez toujours. Dévoiler certaines histoires, c’est se suicider.
Haunted mélange plusieurs plans : l’évolution de la « résidence d’auteur », les présentations de chaque protagoniste façon cabaret de téléréalité et leurs « histoires », vraies ou imaginaires. Tous s’entremêlent pour faire avancer le récit.
L’ensemble est ingénieux, bien mené. Palahniuk met en scène des récits hallucinants, violents, stupides, gores et cruels, mais que je soupçonne à chaque fois d’être basés sur des faits réels. Rien de nouveau sur le fond, mais ça reste très souvent captivants, quoique parfois rébarbatifs.
Malgré tout ça, je ne peux m’empêcher de trouver ce livre raté sur la forme. De manière régulière, chaque participant raconte son histoire, l’œuvre de sa vie. Chacune est une de ces histoires hallucinantes, parfois touchantes. Mais le souci, c’est qu’elles sont toutes écrites de la même manière. Chaque histoire est écrite comme Palahniuk l’aurait écrite. Sauf que, quelque soit le talent d’un auteur, chacun a son propre style, sa propre manière de raconter. Chacun y met de soi et y révèle ce qu’il est. En uniformisant leurs styles, il a de fait uniformisé ses personnages.
Palahniuk est un excellent auteur, il aurait pu s’amuser à jongler entre les styles. Il n’a pas fait ce choix. A mon grand regret, car il ne fait pas toujours cet effort d’un roman à l’autre. Le risque de se répéter est grand et serait une erreur. Comme il le dit lui-même.
Certaines histoires, plus vous les racontez et plus vite vous les épuisez. L’effet dramatique s’évapore et, chaque fois que vous les répétez, elles paraissent plus idiotes et plus plates.