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Le texte :
- James et Sadie Goodenough ont quitté le Connecticut pour l’Ohio, les Black Swamp inhospitaliers et spongieux où rien n’est censé pousser. Pourtant, James va planter des pommiers : à cidre et à manger, ces dernières étant ses préférées contrairement à sa femme alcoolique qui préfère les premières. Ils ont dix enfants dont il n’en reste plus que cinq au bout de quelques années, les autres ayant été emporté par la fièvre des marais véhiculée par les hordes de moustique à l’apparition des premières chaleurs de l’été.
Tracy Chevalier décrit une vie rude de pionnier dans les Etats-Unis de la première moitié du XIX° siècle et le fait admirablement. Certes, les premières pages s’étirent un peu en longueur, mise en place du contexte oblige. Mais rapidement, le récit prend de l’ampleur pour se focaliser sur Robert, un des fils de James et Sadie, celui qui suivait son père partout autour des pommiers, celui qui a fuit juste après le drame (je n’en dirai pas plus).
La structure du livre est très bien pensée, en six parties :
• Chapitre 1. Black Swamp, 1838 : la mise en place du background de Robert et l’histoire tragique de James et Sadie, les tensions du couple, les haines et les trop rares joies. Ce chapitre est curieux : il alterne les parties relatives à James, descriptives et traitées à la troisième personne du singulier, et celles concernant Sadie, autobiographiques et écrites à la première personne du singulier. Cette opposition du « je » et du « il » ne fait que renforcer l’antagonisme croissant entre James et Sadie et marque bizarrement une préférence de l’auteur pour le personnage féminin de Sadie, le plus détestable des deux quand bien même il ne porte pas tous les torts…
• Chapitre 2. Amérique, 1840-1856 : l’errance de Robert à travers l’Amérique, d’Est en Ouest, ses multiples métiers (orpailleur, fermier, marchand ambulant aux côtés d’un charlatan de première, etc…) jusqu’à sa rencontre avec William Lobb dans les forêts de séquoïas de Californie qui lui offrira sur un plateau un métier d’agent arboricole (il ramasse des graines, des plants et les expédie en Angleterre) et un avenir. Partie très courte sous forme de lettres envoyées, chaque premier de l’an ou presque, par Robert à ses frères et soeurs restés dans l’Ohio
• Chapitre 3. Californie, 1853-1856 : toute la vie de Robert en Californie au service de William Lobb, reparti en Angleterre pour promouvoir ses séquoïas, tout l’apprentissage de Robert en tant qu’adulte sédentaire (il a quitté l’Ohio à peine âgé de 16 ans). Il devient sédentaire par la force des choses : ayant quitté l’Ohio plein est et ayant atteint l’océan, il ne peut plus ni avancer ni revenir en arrière
• Chapitre 4. Black Swamp, 1838 : la suite de la tragédie entre James et Sadie pour aboutir à la fuite de Robert et l’abandon de Martha, la sœur dont il se sent le plus proche
• Chapitre 5. Black Swamp, 1844-1856 : à nouveau une série de lettres, écrites cette fois par Martha, restée coincée dans l’Ohio, dont la plupart n’atteindront jamais Robert, et qui décrivent la dure vie de cette enfant chétive restée dans les Black Swamp
• Chapitre 6. Californie, 1856 : les retrouvailles de Robert et Martha, mais je ne vous en dirai pas plus…
Tout au plus pourra-t-on reprocher à Tracy Chevalier d’avoir recourt à des situations un peu tirées par les cheveux à une ou deux reprises et de tirer parfois un peu sur la corde sensible des sentiments, mais après un début un peu lent, elle parvient à happer le lecteur qui suit avec plaisir les traces de Robert, amoureux des arbres et des plantes, un brin rêveur, la tête perdue dans les nuages et les pieds pas très encrés sur la terre ferme jusqu’à ce que la vie les lui remette à leur place.
De magnifiques portraits des pionniers dans leur diversité, avides de faire leur trou dans une société en construction, en friche, dont on peut faire tout et n’importe quoi, comme avec sa propre vie où tout n’est finalement qu’une question de choix mais qu’il faut avoir le courage d’affronter pour prendre des décisions et ne pas rester passif devant son avenir.