Un ouvrage d'un abord relativement aisé qui permet de comprendre, à travers les conversations qui le composent, les modes d'intervention et de fonctionnement dans la clinique de la Borde , établissement modèle de ce que l'on a appelé la Psychothérapie institutionnelle. En faisant intervenir conjointement psychiatrie et psychanalyse, la prise en compte de la spécificité de chaque "malade" primait toujours sur l'application froide de normes thérapeutiques. Jean Oury, qui dirigea cette clinique de 1953 jusqu'à sa mort en 2014, tenta toujours de s'opposer aux normes et aux codifications toujours plus envahissantes et qui n'eurent jamais comme effet principal que d'enfermer les fous dans leur isolement; alors même qu'il s'agit a contrario de les en extraire. Jusqu'à ce que comme à ce jour, on les jette à la rue au plus vite avec une prescription de drogues à prendre quotidiennement qui n'aura pour effet que de les maintenir dans un état d'abrutissement permanent mais "socialement acceptable". Ce livre évoque toute une époque, maintenant semble-t-il abolie, où le fait d'être fou n'excluait pas le respect ni la perspective d'une renaissance au monde. Avant que le fou ne soit, avant tout, catégorisé par nos braves gouvernants et administrateurs de biens comme individu "non rentable" et pour qui il n'existe donc plus de budgets disponibles. Avant que l'on trouve plus simple, en cas de problème, de le mettre en prison où l'on estime que près d'un quart des détenus sont atteints de psychoses telles que la dépression, les troubles bipolaires ou la schizophrénie.
Jean Oury donne d'ailleurs en ce livre un exemple parlant de cette bêtise administrative qui était déjà à l’œuvre à cette époque: "Il y a une pression aliénatoire pour que rien ne se passe. Ce que j'appelle la thanato-technocratie qui fabrique obstinément de l'homogène, des classes homogènes, par exemple. Si l'on regroupe les mêmes, il ne se passera rien. Ou alors ... Il n'y a pas longtemps, un ami m'a raconté qu'il suivait un jeune homme qui venait de se défenestrer. On l'a hospitalisé dans un pavillon regroupant les défenestrés. Ça a l'air d'une blague terrible, mais c'est vrai. J'ai demandé : "Il y a un étage ?"