American Prophet par GuixLaLibraire
Los Angeles dans les années 90. Gunnar Kauffman passe son enfance avec sa mère et ses deux sœurs à Santa Monica, une enfance middle-class dans des écoles truffées de petits blancs proprets où il devient le « noir cool ». Alors que sa mère veut leur faire connaître la culture afro-américaine, lui et ses sœurs s’exclament qu’ils ne veulent pas rencontrer ces gens qui « ne sont pas comme eux ». Ni une ni deux, voilà la petite famille de Gunnar qui emménage dans les quartiers chauds de Hillside, où il va devoir apprendre à être un vrai noir pour ne pas se faire tabasser par les autres jeunes du quartier à chaque coin de rue. Plus que ça, Gunnar va lier des amitiés très fortes avec Scoby, basketteur de génie et amateur fini de Jazz, et avec l’un des plus dangereux psychopathes et chefs de gang du quartier, Psycho Loco, qui vont tous deux bouleverser définitivement sa vision du monde, de son héritage, de sa famille et de son futur. Peinturlurant les murs du quartier de ses haïkus endiablés, dribblant de son mètre quatre-vingt-dix comme une furie dans les terrains du quartier, il va devenir le poète afro-américain le plus reconnu des Etats-Unis, et le nouveau prophète de la communauté noire malgré lui.
Ce qui impose, dans ce roman, c’est la prose de l’écrivain. Comme je disais, Paul Beatty est un écrivain mais surtout un slameur reconnu depuis longtemps aux Etats-Unis, et dans son style tout sonne juste, comme si chaque mot et chaque phrase s’ajustaient avec un naturel confondant. Pourtant Paul Beatty mélange langage soutenu et argot de rue, verlan et belles tournures de phrases, mais contrairement à d’autres auteurs dont le langage semble éructer les phrases avec maladresse, les siennes coulent de source, s’élancent poétiquement, même dans la situation les plus cocasses et les plus violentes.
Alors voilà, American Prophet est un roman coup de poing qui bouscule les préjugés, ordonne les esprits et porte un message social fort et important. Et ça, Paul Beatty réussit à le faire sans verser dans la caricature (à ce point-là ses personnages, bien que complètement dingues, semblent plus vrais que nature), sans tomber à côté de la plaque, avec adresse et excellence. On sourit et on rit, on se laisse embarquer par ce destin hors norme d’un héros atypique. C’est remarquable, ça ébranle sans être dérangeant (ce n’est pas le cas de tous les romans engagés comme celui-ci qui tendent à embarrasser le lecteur par trop de ferveur), c’est un roman de génie.
(je développe un peu plus sur le blog)