Angels in America par Kliban
Deux pièces - Le Millénaire approche - Perestroïka. Sous-titre : "Fantaisie gay sur des thèmes nationaux". On ne saurait mieux dire.
La première relève du tissage virtuose de personnages, fils de vies entremêlées dont les significations se nouent au fur et à mesure des actes.
Prior va mourir - il le croit, ferme comme un Kaposi. Son copain Louis ne le supporte pas, le quitte.
Joe est aussi Mormon et Républicain que Louis est athée, juif, et Démocrate. Joe travaille avec Roy Cohn. Une des plus belles ordures d'avocat pédé homophobe que les USA aient pu porter. Roy Cohn va mourir - il n'y croit pas. Pas de chance. Joe est marié. A Harper. Jeune femme shootée au valium et autres pilules. Il sont des problèmes de couple. Sérieux. Joe et Louis se croisent, aux toilettes du Tribunal. Rencontre.
Prior a des visions. Des hallucinations. Il lui arrive de rencontrer Harper. Ou de voir des revenants. Entend de voix. Bande. Délire. Malgré les injonctions de Belize, flamboyant ex-ex-travesti. Roy et Louis causent. Père et fils. Si l'on veut. Si mal accordés. Mais accordés pourtant, par Reagan, par le besoin de protéger, par celui d'admirer. Belize et Louis causent. Enfin... Louis monologue. Scène fleuve, mal écrite, ou trop bien, où pourtant on entend un bon pan d'Amérique.reagannienne. Il est question de politique, dans Angels in America. Du tournant de l'ère Reagan et de la dislocation d'un monde.
Scènes en miroir où les couples se défont tout comme s'effritent un vieux modèle américain, ce "melting pot où rien ne se mélange" dans l'inquiétude des mondes nouveaux - on est pourtant avant l'ère "11 septembre". Mobilités, frayeurs.
La seconde pièce est une vaste farce qui se passe pour moitié au ciel. Elle me fait reculer devant le 10 - alors que la première... Les fils noués achèvent de se dénouer. Les mystères sont révélés, les personnages d'abord envoyés valser sur l'erre des déracinés se refont des gravitations, nouvelles, banalement presque. On retrouve les procédés de la première pièce, mais un ton moins grave. Et, sans doute, on s'ennuie-t-on parfois, un peu. La composition est moins subtile, mais le propos reste délicieusement absurde. Humour nawak-gay-juif-new-yorkais. Un peu moins touchant mais plus burlesque-rocambolesque que le "Millénaire", "Perestroïka" est aussi plus bavard. Et l'on perd, je trouve, la relation parfois assez intime qu'on avait nouée avec les Prior, Belize, Louis... Joe seul, dont les trajectoires accepteront à demi-mot les doubles-jeu, m'émeut, de ne pas _pouvoir_ se vautrer hors du placard, dans cette lumière que revendiquent ceux qui font coller ce qu'il disent à l'image qu'ils forgent d'eux-même (une injonction terriblement présente dans la morale américaine) - cette chose bavarde dont se forgent les identités, ces utiles et asservissantes fictions sociales. Bref, moins d'émotion et plus de tourbillons. Pas si mal. Mais pas à la mesure de ce que promettait le "Millénaire".