Avertissement : livre lu et critique rédigée dans le cadre du prix SensCritique du Premier Bouquin.
Le pitch : deux vieux copains, Vladlen et Émile, se retrouvent coincés dans l'Est de l'Ukraine en pleine guerre civile. Vladlen est plutôt du côté de Kiev, Émile penche franchement du côté de Moscou, mais ils partagent le même but : retrouver leurs dulcinées respectives.
Le gros point fort d'Anthracite, c'est évidemment sa documentation. Cédric Gras connaît son sujet, c'est évident, et il n'hésite pas à abreuver le lecteur d'informations sur le Donbass, coincé entre Ukraine et Russie depuis la fin de l'Union soviétique, avec son industrie, ses cosaques, ses bières et sa musique. Ce savoir impressionnant tombe à l'occasion comme un cheveu sur la soupe, il est parfois difficile d'admettre que Vladlen, le protagoniste qui nous sert de focale, puisse en savoir autant, mais dans l'ensemble, la didactique est employée à bon escient, au service de l'intrigue et pas le contraire.
Anthracite aborde un sujet encore brûlant avec adresse. Toute l'ambigüité et la complexité du conflit ukrainien transparaissent dans le livre. Cédric Gras ne vous dira pas qui sont les gentils et qui sont les méchants, parce qu'il n'y a pas vraiment de gentils et de méchants, pas vraiment un camp qui a raison et un camp qui a tort, juste des gens qui essaient de mener leur barque du mieux possible, et puis quand même quelques salauds qui profitent de la situation pour laisser libre cours à leurs penchants les plus bestiaux. L'absurdité de la guerre et la déshumanisation qu'elle engendre sont également dénoncées tout au long du périple de Vladlen et Émile, ballotés d'un côté puis de l'autre sans trop savoir comment ni pourquoi. Le livre commence doucement, avec beaucoup de flash-backs pour poser l'histoire du héros et de son meilleur copain, mais au fur et à mesure que le récit progresse, la guerre en fait autant et la lecture devient quasiment viscérale. Le seul reproche que j'aurais à faire à l'auteur dans ce domaine, c'est qu'il a parfois tendance à être un peu balourd, je pense à plusieurs scènes qui sont suivies d'un commentaire explicatif de la part d'un personnage, comme si le lecteur n'était pas fichu de déduire la morale qu'il fallait en tirer.
Un autre point en faveur d'Anthracite : c'est d'assez loin le mieux écrit des livres en lice pour le prix SCDPB (tu parles d'un acronyme !) que j'ai lus jusqu'à présent. L'auteur manie le français avec aisance et passe en revue de nombreux registres, du comique au lyrique, sans jamais paraître mal à l'aise. Dommage qu'il succombe de temps en temps à la tentation de l'esbrouffe, à l'utilisation d'un mot un tout petit peu plus précieux que ne l'exigerait la situation ou d'une figure de style pas forcément indispensable. Mais son gros point faible, ce sont les dialogues. Ses personnages sont censés être peu éduqués, mais ils utilisent le même vocabulaire un peu trop recherché, la même grammaire un poil trop structurée que la narration, et ça suffit à briser l'illusion pour moi. C'est particulièrement criant quand Vladlen et Émile confrontent leurs opinions sur la situation politique du pays, je n'ai jamais eu l'impression d'assister à un échange de répliques réaliste.
Bref, Anthracite est un bon roman, une lecture très instructive sur un fait d'actualité dont on n'a pas forcément une vision très claire en France, mais une foule de petites choses m'ont empêché de me sentir vraiment transporté par les pérégrinations de Vladlen et Émile. Je le recommande tout de même si son sujet se trouve ne serait-ce qu'à la périphérie de vos intérêts.