"La mort d’Antoine n’est pas le trépas d’un seul. Il y avait dans son nom la moitié de l’univers."

Suite de l'excellent Jules César bien qu'écrite antérieurement, Shakespeare nous propose une pièce assez inégale et beaucoup moins maîtrisée.

L'un des vrais atouts culturel de la pièce est aussi son plus grand défaut artistique. Shakespeare nous propose une fresque historique beaucoup trop étalée, que ce soit dans le temps, l'espace, les intrigues et les personnages. Voulant donner une version historique fidèle, il m'apprend ainsi le rôle important et trop souvent tu de Sextus Pompée, fils de Pompée le grand et successeur de Brutus en principal opposant au second triumvirat. Son duel de stratégie maritime contre Agrippa fera la gloire de ce dernier, avant ses succès d'importance des années plus tard contre les forces d'Antoine. On peut aussi citer comme intrigue culturellement intéressante mais inutile à la pièce la campagne d'Antoine contre les Parthes.

Je trouve aussi qu'il y a un impact émotionnel assez réduit, car honnêtement qui penche plus du côté d'Antoine que de celui de César (Octave) ou inversement ? On a ici une bataille de puissants, un bras de fer politique et militaire, une guerre initialement froide qui se réchauffe progressivement. Mais qu'est ce qui distingue à nos yeux - en tout cas dans cette pièce - ces deux tyrans, l'un en Occident l'autre en Orient, tous deux rêvant de régner seul sur l'univers ? Hormis que le vaincqueur essaye de faire passer le vaincu pour un débauché ensorcellé par sa "prostituée" égyptienne, honnêtement pas grand chose, et on assiste à leur opposition sans grande ferveur.

Pour rajouter à la lenteur assomante des premiers actes, les batailles se feront principalement hors champs, Shakespeare n'ayant pas encore son audauce comme dans "Jules César" où la grande de bataille de Philippes constituait l'acte V.

La tentative de paix avec le mariage d'Antoine à Octavia - grande soeur de César - est le grand intérêt des trois premiers actes à mes yeux. Mariage uniquement politique, il sera le ciment fragile qui retardera un maximum la nouvelle grande guerre civile du monde romain. Fille adorée de son frère qui la déifira et lui érigera des temples à sa gloire, épouse dévouée à Antoine. Historiquement, et c'est honnêtement dommage que la pièce ne finisse par sur ce point - tragédie oblige malheureusement - Octavia sera celle qui élèvera les enfants d'Antoine et Cléôpatre dont notamment la bien nommée Cléopâtre Séléné II. Je trouve qu'en peu de présence sur les 5 actes, Shakespeare réussit à nous transmettre beaucoup sur et via Octavia.

A partir de la défaite finale dans la guerre civile, la tragédie reprend des couleurs et de l'inspiration. Mais c'est surtout dans l'acte V, uniquement consacrée à la fin de Cléopâtre (Antoine se suicidant dans l'acte IV), que Shakespeare fait parler tout son talent.

La dernière des pharaons, décrite trop à mon goût comme une amoureuse sotte et capricieuse dans les premiers actes, prend une autre dimension dans la chagrin de son amant disparu...

CLEOPATRE : Vous souriez quand un enfant ou une femme vous racontent leurs songes, n’est-ce pas votre habitude ? J’ai rêvé qu’il était un empereur nommé Antoine : Oh ! que le ciel m’accorde encore un pareil sommeil, où je puisse revoir encore un pareil mortel. Son visage était comme les cieux ; on y voyait un soleil et une lune, qui, dans leur cours, éclairaient le petit O qu’on appelle la terre. Ses jambes écartées touchaient les deux rives de l’océan ; son bras étendu servait de cimier au monde. Sa voix, quand il parlait à ses amis, avait la sublime harmonie des sphères ; mais quand il voulait menacer et ébranler le globe, elle ressemblait au roulement du tonnerre. Sa générosité ne connaissait point d’hiver ; c’était un automne qui devenait plus riche à chaque récolte. Ses plaisirs étaient comme le dauphin, dont le dos se montre toujours au-dessus de l’élément dans lequel il vit. Les couronnes et les diadèmes portaient sa livrée ; des royaumes et des îles tombaient de sa poche comme des pièces d’argent. Croyez-vous qu’il ait existé, ou qu’il puisse exister jamais, un homme comme celui que j’ai vu en songe ?

Passé le chagrin il s'agit ensuite pour elle d'échapper au destin humiliant que lui réserve César, de mourir en reine et non d'être traînée comme une putain sur le champ de Mars, esclave du vaincqueur porté en triomphe.

CLEOPATRE : César a beau faire, je saurai détruire cette prison mortelle. Sachez, seigneur, qu’on ne me verra jamais traînant des fers à la cour de votre maître, ni insultée par les calmes regards de la fade Octavie.... Me paradera-t-on pour me donner en spectacle à la valetaille de Rome, et pour essuyer ses sarcasmes et ses anathèmes ? Plutôt chercher un paisible tombeau dans quelque fossé de l’Égypte ! plutôt mourir toute nue sur la fange du Nil ! plutôt devenir la proie des insectes et un objet d’horreur ! plutôt prendre pour gibet les hautes Pyramides de mon pays et m’y faire suspendre par des chaînes !

Capturée, sous le joug de César, la reine d'Egypte se débrouillera pour choisir son destin, un aspic à la poitrine plutôt que des fers aux poignets.

CLEOPATRE : Ne vois-tu pas mon enfant sur mon sein, qui endort sa nourrice en tétant ?

Autres répliques diverses sympathiques à conserver :

ANTOINE : Ne faites pas au sort barbare l’honneur de vos larmes ; souhaitez la bienvenue aux coups qui viennent nous frapper. C’est se venger de lui que de les recevoir avec insouciance.

CESAR : Enlevez-la dans son lit, et emportez ses femmes de ce tombeau. Elle sera ensevelie auprès de son Antoine, et nulle tombe sur la terre n’aura renfermé un couple aussi fameux.