Rien de nouveau sous le soleil
Cette rentrée littéraire prétend offrir un réel espace médiatique aux primo-romancier.e.s : Eliot Ruffel, auteur d'Après ça, en fait partie. Si c'est avec l'enthousiasme de découvrir une nouvelle plume que je me suis emparée de ce roman, force est de constater qu'au fur et à mesure des pages, mon optimisme est allé en s'atténuant.
Le récit retrace les vacances d'été de deux adolescents, Lou et Max, dans une station balnéaire vraisemblablement normande, qui n'est toutefois jamais nommée. Si Max a grandi avec ses frères et ses parents dans cette ville sinistre, Lou y a échoué avec sa mère un an auparavant. Les deux personnages sont rapidement devenus compagnons d'infortune. Durant l'été, sous le soleil écrasant, les jours poisseux s'enchainent et se ressemblent tous. Pour tuer le temps, Lou et Max s'occupent comme ils peuvent : ils fusionnent, en fumant des clopes, avec un canapé informe, négocient tous les soir avec un épicier indifférent pour gratter de l'alcool, et font des jeux débiles, dont eux seuls connaissent les règles. En filigrane de ce quotidien monotone, se dessine le lien pudique (ou superficiel ?) qui unit Max et Lou, fondé principalement sur le silence, que les deux garçons noient dans les innombrables canettes de bière qu'ils s'envoient tous les soirs face à une mer pisseuse. Malgré l'incommunicabilité entre les adolescents, certaines attentions témoigneraient de l'affection qu'ils se portent (quand l'un ouvre une bière à l'autre, l'autre offre un maillot du PSG à l'un) et devraient nous faire adhérer à la profondeur de leur relation. Après ça est moins un récit d'amitié (à laquelle je dois le dire, on peine à croire) qu'une exploration désespérante du désœuvrement et de l'ennui des protagonistes.
L'intérêt du récit réside dans la manière dont l'auteur décrit le rapport qui unit les personnages à l'espace urbain. Ruffel croque une ville normande moyenne, avec son éternel parking d'Auchan flanqué de son Buffalo Grill, dont les falaises, qui attirent quelques rares et risibles touristes allemands et britanniques, sont progressivement réduites en miettes par l'érosion. Lou et Max se traînent dans ces rues qu'ils connaissent par cœur, où tout fait l'objet d'une référence ou d'une plaisanterie qu'eux seuls connaissent. L'auteur explore remarquablement, à travers ses protagonistes, ce lieu où cohabitent les différentes classes sociales mais où le territoire de chacun reste toutefois très nettement délimité.
L'espace géographique, indissociable de sa dimension historique, porte les stigmates de la Seconde Guerre mondiale. C'est pourquoi les deux adolescents ont investi un ancien bunker dans lequel ils se réfugient chaque soir pour se mettre la tête à l'envers. L'exploitation littéraire de cette appropriation de l'espace et de ce travestissement du mobilier urbain opérés par les personnages est une réussite.
Réussi, le personnage d'Ivan l'est également. Ivan, c'est le frère de Max, dont on ne sait ce qu'il est devenu, qui aurait réussi à quitter la ville en bateau pour ne plus jamais y revenir. A force de récits qui subliment Ivan et le mystifient (il aurait réussi quelque part derrière la mer), Lou et Max forgent autour de ce disparu une légende singulière. L'imaginaire devient, pour les protagonistes, un échappatoire à la médiocrité sournoise du quotidien. On comprend rapidement qu'Ivan a, en réalité, fui les violences intrafamiliales, qui n'épargnent aucun personnage du livre. Les pères, tous plus maltraitants ou malhonnêtes, sont soit absents, soit brutaux (pour changer), obligeant leurs fils à un certain mimétisme. Et c'est très subtilement que Ruffel esquisse une généalogie de la violence et la présente comme un héritage filial. En creux, la relation mère-fils se manifeste dans quelques rares moments de tendresse, toujours très justes.
Ce qui pêche dans le roman c'est la lourdeur de la langue. Ruffel s'évertue à rédiger des phrases interminables et pâteuses, saturées de virgules, à tel point qu'il faut quelquefois s'y reprendre à deux fois pour les comprendre. A cette pesanteur se surajoute l'absence totale de discours direct, Ruffel privilégiant le discours indirect et le discours indirect libre. Inévitablement, l'ensemble frôle le flux de conscience mal maitrisé, et par conséquent, l'indigeste. L'auteur affirme également son gout pour les scènes quasi-scatologiques (confert le passage où Lou a envie de faire pipi mais la dame-pipi ne veut pas laisser Lou aller faire pipi donc il manque de se faire pipi dessus) qui se lisent avec peine.
En réalité, Ruffel méprise son personnage d'adolescent qu'il prive de toute finesse et de toutes capacités analytiques. Lou, amorphe, traverse tous les épisodes de la vie avec une inertie désolante. Si celui-ci découvre et subit la violence du monde, on s'étonne de lire que tout semble pour lui plus ou moins insignifiant. Cette absence d'enthousiasme du protagoniste contagie, je dois le dire, les lecteurices du roman. Nous sommes là face à une énième représentation caricaturale et réductrice de l'adolescence, incapable d'aimer (ne serait-ce que maladroitement), insipide et privée de toute complexité. Nous observons le personnage principal se débiliter au fur et à mesure des pages et on peine à s'attacher au duo pathétique qu'il forme avec Max. Lou observe ce qui l'entoure avec des yeux hébétés d'oisiveté, sans jamais être capable de la questionner. Ce roman n'a rien de neuf, et perpétue les même poncifs, poussiéreux et éculés, sur l'adolescence. Le récit est quelquefois mené sans finesse et l'auteur se heurte au sempiternel écueil dès lors qu'il s'agit de représenter cette tranche de vie. Car oui, c'est bien connu, que ce que souhaite un lycéen par-dessus-tout, c'est de s'enculer la gueule, sous le regard médusé des passantes, au whisky-coca, avachi, seul, sur un banc public.
Créée
le 3 nov. 2024
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