Que vois-je ? De la science-fiction au XVIIIe siècle ? On imagine le futur avant même le relativement fameux An 2440 de Mercier ? Et en plus c'est court ? Bien sûr que j'ai envie de le lire !
Les intéressantes éditions publie.net proposent ici de regrouper les écrits de Charles-Nicolas Cochin qui prétendait, entre 1755 et 1756, avoir reçu des mémoires venus du futur, de l'an 2355, qui traitent de l'art "ancien", c'est-à-dire de ceux des XVIIe et XVIIIe siècles. Ces mémoires, tous soi-disant écrits par des auteurs aux noms sans équivoque et à consonance anglophone comme M. Truthlover, abordent l'architecture, la peinture, la mode (via l'étude des portraits), et la sculpture.
Comme souvent à cette époque, les écrits de ce genre ont pour but la critique, mais en esquivant habilement la censure. Et puis c'est rigolo, surtout quand Cochin nous suggère de plutôt lire les mémoires originaux que le résumé qu'il nous en fait. Une part de moi, candide, aurait voulu voir un peu plus de développement autour du monde de l'an 2355, mais forcément il n'était pas là pour ça.
Cochin y exprime "simplement" son point de vue, en prenant quelques exemples qu'il analyse et qu'il critique en bien comme en mal, notamment en faisant des comparaisons ou en ciblant l'incongruité de quelque chose.
Candide que je peux parfois être je m'attendais, au-delà de la pure critique déguisée, à ce que Cochin nous décrive un peu plus le monde de l'an 2355, ou les moyens d'obtention de ces mémoires. Outre l'aspect archéologique (exagéré), il n'y a que peu de références au monde du futur : la ville de Paris s'agrandit, puis disparaît ; Cochin évoque le fait que les composés chimiques exacts des pigments des peintures sont décrits (ce qui est d'ailleurs parfois le cas à notre époque, mais plutôt dans les rapports de restauration), et "l'île de Grande-Bretagne" est devenue française, son passé indépendant étant d'ailleurs presque une légende.
Cette édition propose de nombreux avantages : bien sûr, le premier d'entre eux est qu'il nous évite de rechercher tous ces documents (donc potentiellement d'en manquer), qui j'en suis sûr sont disponibles gratuitement sur Retronews. Le deuxième avantage, c'est qu'il possède un avant-propos détaillant un peu plus le projet et des notes de bas de page apportant des précisions utiles nous permettant de nous mettre plus aisément dans la peau d'un lecteur du XVIIIe siècle. Enfin, peu importe où on achète notre exemplaire papier, on a le droit en cadeau à la version numérique, grâce à un code imprimé directement sur le livre, une chance pour moi qui travaille sur cette époque et qui pourrai retrouver aisément des passages à citer si nécessaire.
J'émets cependant quelques critiques, non pas sur ce que dit Cochin, mais sur cette édition : l'avant-dernier chapitre me semble comporter des erreurs : le pseudo-auteur du mémoire, M. Findfault (qui, effectivement, s'acharne à trouver des fautes de goût vestimentaire) s'appelle à un moment M. Findsault ; on a aussi le droit plusieurs fois à l'expression "on pouvoir". Alors, fautes de l'éditeur, fautes d'origine, ou bien réelle (mais alors farfelue) volonté de l'auteur ? Difficile à dire, même si je pense que l'erreur s'explique très facilement quand on sait comment le français s'écrivait alors.
L'ouvrage s'adresse beaucoup plus aux historiens de l'art et aux historiens qu'aux passionnés de la SF. il s'agit d'une critique intéressante et amusante d'une époque et de ses arts. L'édition de publie.net apporte plusieurs choses non-négligeables, voire essentielles à une bonne compréhension de l'essai, même si j'ai été surpris par ce qui me semble être des erreurs à la fin de l'ouvrage pourtant annoté.