Yannick Grannec a compilé une documentation littéraire et scientifique notable pour écrire Au-dedans. Ce livre est donc vertigineux,complexe et demande une certaine disponibilité d’esprit pour se l’approprier.Mais que ce voyage vaut le coup tant il lie étroitement les émotions bien humaines, la réflexion sur la dégénérescence mentale et le bien-fondé de l’intelligence artificielle. Même si l’écrivaine avoue dans sa postface que le syndrome de Damasio ( induisant une dégénérescence émotionnelle et empathique) est fictif , elle plonge le lecteur dans un bras de fer psychologique entre Andrew ( bot de Christa), JJ ( son amant et confident depuis l’adolescence) et Cosmo et Sinclair ( ses jumeaux) car le temps est au prolongement de soi dans un univers virtuel, l’Alter, et que des questions d’éthique s’imposent. Qui de l’assistant personnel ou des proches ont donc raison? Yannick Grannec en multipliant les allers retours entre le IRL ( in real life) et l’IVL ( in virtual life) , en étirant son intrigue entre 2009 et 2100, réussit à se projeter sur l’impossibilité de compréhension mutuelle entre l’homme et la machine mais où la Vie tranche et met tout le monde d’accord. On apprécie aussi Au-dedans pour sa galerie de personnages singuliers, comme Milton, le père scientifique de Christa avec lequel elle a des échanges de mails savoureux malgré leurs caractères opposés.Jonas Jerkins (JJ),n’en est pas moins un gardien du temple de son individualité et peut comprendre par moments les raisons d’Andrew, intelligence artificielle fidèle et obstinée. Quant à Cosmo et Sinclair, ce sont les personnages problématiques car ils partagent le patrimoine génétique de leur mère et de leur père et passent de l’implosion au cynisme au delà de leur lien gémellaire déjà si particulier. Si vous voulez vous projeter dans une histoire aux ramifications multiples, et que les dissonances des rapports entre les personnages ne vous rebutent pas, Au-dedans peut vous cueillir et vous emmener très loin. De plus, sa prouesse littéraire alliant le style et la science, vaut le détour car le lecteur doit s’immerger dans un vocabulaire technique ne faisant pas partie de son quotidien et s’en imprégner pour profiter pleinement de ce récit ô combien complexe mais maîtrisé.