Le soir, Margaret White s'agenouilla à côté de son lit et fit cette prière :
"Seigneur Éternel, Dieu des armées, vainqueur du Malin, je sais que j'ai fait le mal et que je suis une pécheresse à tes yeux. Je vois les signes de ma déchéance, je les reconnais. Ce sont els mêmes que pour les autres mais moi, au moins, je connais mon état de pécheresse et veux en sortir.
Plus que tout, Père Céleste, aide-moi à réparer mes fautes. Aide-moi à corriger mes erreurs envers cet enfant du Diable. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour la sauver : je l'ai coupée du monde, je l'ai séparée des mauvaises influences dans les écoles, je lui ai appris Ta vérité et non les inepties hérétiques de ces réformistes darwiniens. Je lui ai montré où était le Mal : dans les décolletés, dans les vêtements qui exhibent le corps. Le corps lui-même est le Mal et il faut savoir s'en détacher. Les salbosses, les formes aguichantes des hanches, tout cela est voué au Malin.
Si ton oeil est pour toi une occasion de chute, alors arrache-le !
J'aurais dû comprendre que Carrie ne venait pas de Toi, mais de l'Homme Noir. Quand elle faisait voler son biberon au-dessus de son lit alors qu'elle était encore bébé, j'aurais dû en tirer toutes les conclusions. Mais j'ai été faible alors.
Donne-moi la force. Aide-moi à faire ce que je dois faire.
Dernièrement, Carrie a eu ses coulées de sang. Nouvelle preuve de sa corruption morale. Je sais bien que toi, tu ne peux pas nous faire souffrir et tu ne supportes pas le sang qui coule. Tu n'affligerais jamais une de tes enfants de cette malédiction.
Et avec le sang est revenu le pouvoir. Puis les garçons sont arrivés. Ce Tommy avec qui elle sort actuellement est une nouvelle malédiction. Il va l'entraîner dans sa voiture loin des routes fréquentées. Il transpire le Mal, comme tous les hommes. Comme toute l'humanité souillée et déchue. Et ils vont se livrer à la fornication, l'acte final de la soumission au Diable.
Heureusement que tu es à mes côtés et que tu comprends ma juste colère. Je sais que Carrie est une épreuve que tu m'envoies. J'ai compris le message, le même appel envoyé à Abraham. Je vais extirper le Mal, arracher cet œil qui, pour moi, est une occasion de chute. Seule, je mériterai alors peut-être Ta grâce et Tu me permettras de revenir à Tes côtés. renforce mon bras, affute mon arme, et guide-moi vers Tes sentiers."
Une lumière intense irradia alors dans la chambre. Margaret leva la tête mais ses yeux ne purent soutenir l'éclat de blancheur qui venait inonder la pièce. Et soudain, L'Ange du Seigneur se tenait face à Margaret White et lui parla de sa voix de tonnerre :
"Margaret White, tu es la honte de la religion du Christ. Toi et ceux de ton acabit n'ont strictement rien compris au message du Christ, ni même à la religion dans son ensemble. Tu sembles croire que la religion doit séparer les hommes alors qu'elle doit les réunir.
Tu crois que le rôle de Dieu est de punir avec sévérité alors qu'au contraire Dieu est amour et que, apr Son Amour infini, Il sauvera l'humanité dans son ensemble.
Cite-moi un seul verset où le Christ hurle sa haine comme tu n'as cessé de le faire toute ta vie ?
Montre-moi un seul passage des Écritures où Christ voue l'humanité aux Enfers comme tu l'as fait ?
Être croyant, c'est se tourner vers les autres et leur apporter ton amour. La religion, c'est la vie, et tu en as fait une machine de mort. La mort est en toi et dévore tout. Tu veux tuer. Tu voulais tuer tes parents, tu veux maintenant tuer ta fille.
Car c'est bel et bien TA fille, et elle est telle que Dieu l'a faite. Son don est tout à fait naturel, génétique même. Si tu rejettes la nature, alors c'est Dieu que tu rejettes.
Tu n'as vraiment rien compris à la vie, toi.
Va, et que je ne te revois plus !"
Margaret White releva la tête et, les yeux réduits à deux fenets tant la lumière était intense, elle déclara :
"Mais, Seigneur, vous n'avez pas entendu comme cette putain de Babylone m'a parlé !
_ Si vous continuez à surnommer votre fille comme cela, c'est normal qu'elle vous insulte !
_ Elle a osé me dire des horreurs !
_ Vous l'avez empêché de vivre depuis 17 ans maintenant. Vous l'avez brimée, vous avez réduit son monde à un placard sous l'escalier, vous l'avez éloignée de toute connaissance possible sous prétexte que l'humanité serait pourrie, et vous pensez qu'elle va vous en remercier ? C'est une adolescente, elle apprend à tracer sa propre route, à se séparer de ses parents et à ne garder que ce qui lui sera utile dans l'éducation que vous lui avez donné. C'est normal qu'elle rejette toutes les aberrations que vous lui avez apprises. J'espère juste qu'elle ne gardera pas toute la haine de l'humanité que vous avez tenté de lui inculquer, sinon tout pourrait mal finir..."
L'Ange du Seigneur partit et alla chez un modeste professeur d'anglais. Il savait que le bonhomme avait :
_ besoin d'argent
_ des talents pour l'écriture.
Il lui résuma l'histoire de Carrie et lui dit qu'il pourrait en faire un livre. Il l'autorisa :
_ à en faire un roman partiellement autobiographique
_ à mélanger narration classique et extrait de journaux, livres ou magazines, histoire de multiplier les points de vue mais aussi de démolir la chronologie traditionnelle du roman, puisque le lecteur saura quasiment toute l'histoire avant même de rencontrer Carrie
_ à faire un formidable portrait de l'adolescence
_ à fouiller dans la psychologie des petites villes de l'Amérique profonde et à en faire un portrait peu flatteur.
Pour cela, il lui conféra le don de décrire la psychologie de masse et de passionner ses lecteurs avec pas grand chose, puisque l'histoire racontée ne contient que deux actions.
Juste avant de partir, il lui dit que puisque l'écrivain songeait à faire un cycle de fantasy intitulée La Tour Sombre, il pourrait intégrer dans Carrie quelques éléments comme la présence d'un Homme en noir.