Cent ans par Nina in the rain
Je vous ai déjà parlé de ma prof de littérature, au lycée ? C'est elle qui m'a fait découvrir Wassmo, avec le Livre de Dina. J'en ai gardé un souvenir de froid, de force, de puissance même (du roman, hein, la prof était tout sauf froide). Lorsque j'ai vu Cent Ans sortir d'un carton, j'ai eu un frisson de joie anticipée. Pour moi, l'ouverture d'un carton d'office (de nouveautés) a toujours été l'évènement qui sauvait une journée. On est là, recroquevillé au milieu d'une montagne de bouquins qu'on en a marre de voir, et tout à coup, au détour d'un coup de cutter, il est là, tout nouveau, tout chaud, plein de nouveaux textes qui font envie (ou pas, bien sûr, mais imaginons que c'est un office litté Volumen et puis voilà) et dont on va pouvoir les mettre sur les tables en se disant « voilà, mon univers change! ». Ce poids des références, toujours les mêmes, pas toujours celles qu'on aime, cette monotonie parfois de tables qui changent peu (sauf en période de rentrée littéraire) a été ce qui m'a fait fuir mon ancien métier que pourtant j'aime plus que tout. Je déteste la routine. Je suis incapable de rester plus d'une semaine au même endroit sans avoir envie de bouger. Quand je commence à ne plus avoir besoin de points de repère pour faire le chemin du travail, c'est que je suis restée trop longtemps. Tous les jours les mêmes lieux, les mêmes visages, les mêmes habitudes, c'est trop pesant pour moi. Pourtant, j'aime revenir sur des lieux où j'ai travaillé, y rester de nouveau un ou deux jours, retrouver des personnes appréciées mais c'est plus fort que moi, il faut vite que je bouge.
Bref, le jour où Cent ans est sorti du colis, c'était un peu comme un accouchement. C'était le premier colis que mon client arrivait à réceptionner seul, sans que je sois derrière pour voler sa souris ou grogner « tabuuuuuuule » (y'en a qui se reconnaîtront). J'étais fière, parce que je le suis toujours un peu quand je vois un de mes « élèves », le geste un peu moins contraint, commencer à trouver ses marques dans le logiciel, et puis j'étais dans l'expectative parce que bon, quand même, un carton d'office littérature quoi ! Et là je le vois, bleu, avec son air penaud de dernier né d'un auteur qui n'avait pas publié depuis longtemps, je n'y ai pas résisté. Bon, bien sûr, après ça le pauvre a rejoint la PAL et a attendu serré au milieu des autres qu'il me tombe sous la main. J'attendais le bon moment, Dina m'avait un peu échaudée, je savais qu'il fallait de la concentration et un moment d'intense bonne humeur pour apprécier la prose si particulière de l'auteur norvégienne. Mais dès la première page, bien sûr, la magie a fonctionné de nouveau. Je me suis immédiatement sentie emportée par ces vies de femmes sur quatre générations, Sara Suzanne, Elida, Hjørdis et la petite dernière qui ne veut pas dire son nom avant la fin, alter ego de l'auteur (dont je ne sais pas à quel point elle a mis de sa vie dans ce roman, est-ce réellement autobiographique ?). Herbjørg Wassmo nous entraîne dans le sillage de ces femmes qui surmontent les grossesses, la vie, le froid, la haine parfois, simplement parce qu'il le faut, sans sensation d'héroïsme particulière, sans pose ni posture.
J'ai été intensément touchée, comme toujours, par la vie rude et les manières si particulières des pays nordiques, qui transparaissent dans des partis pris de traduction que j'ai trouvés très intéressants. Ces discussions à la troisième personne du singulier permettent de sentir tout le poids de la distance que ces êtres du bout du monde (pour moi) mettent entre eux. Contrairement à Jens Christian Grøndahl dans lequel je suis replongée et dont les romans pourraient se passer aussi bien à Paris qu'à Copenhague, Wassmo est un auteur de la terre, de la neige et de l'étendue désertique de son pays. A lire, à lire !
PS : vous avez vu la quantité de ø que j'ai réussi à mettre dans cet article ?
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