« Chavirer », un titre court pour un roman fort.
Je le découvre grâce aux explorateurs de la rentrée de lecteurs.com et du partage spontané des livres entre eux. Un merci spécial à Vanessa Chatel à qui je dois ce prêt.
J’ai été remué au plus profond de moi par le récit de Cléo, jeune fille de 13 ans, jeune femme de 20, 30 et un jour maman de presque 50 ans. Une longue histoire que nous distille avec aisance et sureté Lola Lafon avec un style qui se prête admirablement à cette quête de reconstruction. De très brefs chapitres, comme autant de vieux souvenirs, de tranches de vie qu’on sortirait d’une boîte oubliée au fond de soi.
Un récit sans chronologie, ce qui n’altère pas l’intérêt, que du contraire. Et pour cause, comment Cléo pourrait-elle avoir la notion d’un temps qui se déroule ? Son présent reste au quotidien celui de ses treize ans. Ce début a marqué son corps et son âme d’un sceau ineffaçable. Passé présent et avenir en sont chamboulés ! Une vie éclatée.
Pourtant, même d’apparence disparate, ce récit n’est pas sans ordre. Il en est un qui vrille le lecteur au cœur, c’est celui que Cléo se donne. Même au prix de la souffrance, elle doit effacer tous ces souvenirs et surtout ne rien oublier.
Un roman de mise sous tension permanente entre la culpabilité ressentie par Cléo pour ce qu’elle a fait et l’envie du lecteur de la désigner victime avant que de la juger coupable.
Où est le politiquement correct ? Où commence le devoir de se taire pour protéger les siens et le devoir de parler ? Avec une écriture quasi pointilliste, coup de cœur après coups au cœur, ce roman nous donne les pièces d’un puzzle qui, une fois monté, révèlera le destin de Cléo. Destin qui en a généré d’autres et qui tous ont en commun l’engouffrement dans des prisons de silence, de peur, de doute mais aussi de quête de liberté, de volonté de se construire. Mais quand le corps et l’âme sont ébréchés non par ce qu’on a été obligé de faire mais par ce à quoi on a consenti, une reconstruction est-elle possible ?
Lola Lafon signe ici un roman qui remue le fond de l’âme. Sans jamais juger, elle laisse les choses se dire ou se taire. Faut-il déterrer le passé ? Les vérités sont-elles toujours bonnes à dire ? Le lecteur jugera. Mais, s’il est honnête avec lui-même, il sera d’accord : Ce roman en fera chavirer plus d’un dans la mer tranquille de nos croyances et certitudes face l’existence d’une sexualité abusive. Et c’est tant mieux !