Bon, il faut visiblement ici que je secoue ma paresse à écrire des critiques; voilà ce qui est en effet l'un des plus grands romans de toute la littérature chinoise et qui reste là, tout seul, avec moi comme seul lecteur sur SensCritique à cette date.
On pourrait s'interroger sur les raisons de cet étrange réticence ou désintérêt. Faut-il y voir le fait qu'en dehors de quelques-uns de ses philosophes antiques, la Chine est désormais associée à la pacotille marchande et à la rusticité sociale; ou qu'au contraire la lecture de sa littérature classique serait réservée à de savants sinologues poussiéreux. Voilà pourtant un ouvrage tout à fait passionnant par ce qu'il révèle d'humanité et de conscience. En dehors de la mémorisation des noms propres,qui demande un petit effort de départ, il ne représente aucune difficulté particulière de lecture. Vous y rencontrerez quelques personnages remarquables d'intelligence, de générosité, d'humour et de sens poétique; entourés d'autres qui le sont beaucoup moins. Bref, un monde qui n'est pas si différent du notre et de ses difficultés, pour peu que l'on se donne la peine d'y pénétrer. Vous y découvrirez un certain art de vivre au milieu des peines et des difficultés dont nous gagnerions beaucoup à nous inspirer. Et vous aimerez certainement plusieurs de ses protagonistes auxquels on voudrait pouvoir ressembler.
Cette "Chronique de la forêt des lettrés", dans son appellation chinoise d'origine,marque l'émergence sous la dynastie Qing ( 清朝 1644-1912) d'une littérature satirique, mettant subtilement mais directement en cause la structure sociale de ce temps et sa classe dominante représentée par les mandarins. Mais je laisse ici la parole au grand écrivain Lu Xun dans la présentation qu'il en fait dans sa "Brève histoire du roman chinois" : "Il fallut attendre la Chronique de la forêt des lettrés" ("Rulinwaishi") de Wu Jingzi (吳敬梓 1701-1754) pour voir apparaître un ouvrage impartial, montrant du doigt les vices et abus de l'époque et dirigeant plus spécialement ses traits contre une catégorie de personnes : celle des lettrés. Tout en étant sérieux, le texte n'en garde pas moins son potentiel humoristique et les attaques, pour être menées avec tact, n'en sont pas moins cinglantes. (...) Il a su éclairer les zones d'ombres et fouiller les secrets; aucune chose, dès lors, ne lui échappait et toutes prenaient une apparence tangible. Bien que cet ouvrage soit désigné comme un roman, il ressemble plutôt à un ensemble de courtes pièces, mais, comme sont unis les différents éléments d'un tissu bariolé, le tout forme une composition. L'ouvrage n'en présente pas moins des passages d'un goût exquis et rare et, comme ils offrent de plus l'attrait du divertissement, ils méritent d'être regardés avec un grand intérêt." Je ne crois pas nécessaire d'en rajouter davantage.