Le titre d'un livre, c'est important. Il éclaire tout ce qui suit. Ici, Chroniques d'un rêve enclavé : un sobriquet pompeux à souhait pour un roman qui le mérite peut-être un peu trop.
Ne connaissant rien de l'auteur, mais conseillé par une amie enthousiaste, je m'attaque à cette lecture, alors qu'un Erikson traîne sur ma table de chevet depuis des mois sans que j'en voie le bout, et après plusieurs mois sans achever le moindre roman : période de disette, donc, à laquelle j'espérais pouvoir mettre fin.
Le point positif, c'est que ça aura eu l'effet escompté : c'est un petit roman qui se lit vite, et qui se lit bien ; c'est joliment écrit, plein d'élégantes tournures et du bon mot occasionnel. Rien à redire de ce côté-là. Non, c'est ailleurs que le bât blesse : c'est en fait dans tout le reste.
Qu'avons-nous ? Pour faire court, le récit d'une Commune, qui se réalise (effectivement et à elle-même) au cours d'une période de famine ; c'est un quartier d'une ville, oublions son nom, dont la position géographique facilite l'isolation -- en disette, qu'ils disent, que les autres crèvent. Grand bien leur fasse. Plus tard, la tête couronnée change de visage, et voilà que le nouveau Prince veut remplir les coffres, et lève impôt sur impôt ; rebelote, on se calfeutre sur sa colline et on attend que ça passe, en montant un nouveau système politique au passage, parce qu'il faut bien, hein ? Et évidemment, mais ce n'est guère une surprise : comme dans l'Histoire, la vraie, tout ceci finit dans le sang.
Je prends un ton narquois, certes, mais c'est parce que je suis assez déçu : c'est intéressant, comme motif, la Commune. On peut dire plein de choses sur la nature humaine, sur le comportement face à l'adversité, sur les tiraillements entre l'ordre et le chaos : bref, un vrai vivier de belle littérature. Mais il y a ici un problème : Parleur. Celui-là même qui a donné son nom au roman, dans une édition antérieure. Personnage principal, mais pas narrateur, Parleur parle. Il parle beaucoup, et à vrai dire, il ne fait que ça. Jusqu'à l'absurde. Jusqu'à devenir pote avec un contrebandier "rien qu'en lui parlant" : non, tu ne lui as "parlé" ; tu l'as directement menacé, nuance. Le pacifisme de Parleur, cet odieux manipulateur, est bien de façade... Sans compter que c'est un infâme mysogine, répugné par une femme parfaitement respectable -- sauf qu'elle a l'indécence de manier l'épée avec grande dextérité. Et l'imbécile d'en tomber amoureuse ! Il lui faudra évidemment renoncer à ses airs martiaux et adopter les jupes pour conquérir son chéri... Parleur, c'est celui qui permet le récit, mais qui le blesse à mort également ; sans lui, le récit est impossible, puisqu'il est l'impulsion qui le pousse en avant ; mais par ses contradictions permanentes, il met à jour le roman pour ce qu'il est : un pamphlet maladroit, incapable de concilier ses ambitions essayistes et les nécessités romanesques. Parleur, c'est le romancier qui se met dans le récit, incapable de s'effacer devant celui-ci.
L'autre problème du récit, c'est son cadre : l'auteur enrobe les déboires de la Commune d'un complot plus-ou-moins franc-maçonnique qui, non content d'être de fort mauvais goût, annule l'effet tout ce qui arrive, puisque tout est annoncé à l'avance. Si l'objectif est clair, il dessert la portée dramatique du récit. En fait, tout ce cadre extérieur à la Colline est inutile ; qu'avons-nous besoin de connaître la politique extérieur de cette province d'un plus grand royaume ? Qu'il nous suffise de savoir que le monde est plus vaste que la simple ville présentée, et la vision prophétique finale aura autant d'impact ! Ici, ces atours de fantaisie ne font que gêner le récit, coincé par les nécessités d'un genre précis ; particulièrement désolant, alors que celui-ci a largement montré, et en littérature francophone en particulier, sa grande élasticité.
Chroniques d'un rêve enclavé est exactement ce qu'il paraît être au vu de son titre : un roman pompeux et poseur, plus préoccupé de ce qu'il va prononcer que de ce qu'il va dire.