Un bouquin publié par Terre de Brume dans la collection Poussière d'étoiles. Ce qui impose, une fois n'est pas coutume, de débuter ce compte rendu miteux par une supplique larmoyante.

M. Sébastien Guillot,

Que ce soit ici, ou plus encore au sein de la superbe collection Interstices chez Calmann-Lévy, vous éditez des livres qu'ils sont ben chouettes. Mais, par pitié, pour les Poussière d'étoiles, faites des relectures ; embauchez un correcteur ! Vous ferez du bien à l'économie française et plus encore aux statistiques du Gouvernement, permettrez à un jeune imbécile de cotiser pour une retraite qu'il ne touchera jamais et, surtout, surtout, vous reposerez les yeux et les nerfs de vos lecteurs, et contribuerez ainsi à diminuer le trou de la Sécurité sociale. Vous l'aurez compris, Monsieur Guillot : c'est à votre civisme que je fais appel. La France compte sur vous. La Nébalie aussi.

Cordialement,

Nébal (futur Empereur-Dieu de la galaxie).

Merci.

Ceci étant, Citoyen de la galaxie est bel et bien un bouquin fort appréciable (et merci à nouveau, du coup). Œuvre de l'incontournable Robert Heinlein, il se classe parmi ses « juveniles », c'est-à-dire ses romans de SF destinés à la jeunesse (disons aux jeunes adolescents) écrits si je ne m'abuse dans les années 1950. Ce qui, dans l'absolu, ne joue pas vraiment en sa faveur : on pourrait très légitimement redouter un vieillissement supplémentaire, une naïveté dans le ton plus frappante encore que celle que l'on peut à l'occasion relever dans ses textes « adultes » de « l'âge d'or »... Eh bien figurez-vous que non. Citoyen de la galaxie, si son statut de roman à destination de la jeunesse ressort bien de quelques passages obligés, dans le fond comme dans la forme, n'en reste pas moins éminemment lisible cinquante ans plus tard par un lecteur « adulte » (mais, de toute façon, nous savons bien que les lecteurs de SF sont tous des ados attardés, 'spa ?), et bien plus que certains textes de « l'Histoire du Futur », par exemple (sans parler du très mauvais Sixième colonne). C'est le premier « juvenile » de Robert Heinlein que j'ai l'occasion de lire (rappelons néanmoins que Starship Troopers, à l'origine, était supposé en être un également, mais fut refusé par l'éditrice d'Heinlein pour sa violence et son contenu polémique – un choix délibéré d'Heinlein désireux de rompre son contrat, à en croire Ugo Bellagamba et Eric Picholle dans leur passionnant essai Solutions non satisfaisantes – et donc publié « normalement », ce qui lui permit d'ailleurs d'obtenir le Prix Hugo ; comme quoi...) ; mais je suppose qu'il se situe clairement dans le haut du panier.

Sous cet angle, Citoyen de la galaxie tient en effet de la littérature jeunesse idéale ; c'est-à-dire, en ce qui me concerne, de celle qui peut être lue et appréciée également par un lectorat adulte, d'autant qu'elle affiche cette qualité essentielle de ne pas prendre les lecteurs pour des cons. Ici comme dans un certain nombre d'autres de ses œuvres, Heinlein joue en effet à déstabiliser le lecteur, en le plongeant dans un univers résolument non manichéen, à la différence de ce que l'on peut craindre généralement de ce genre de productions ; surtout, il se montre un moraliste adroit : le contenu éthique de Citoyen de la galaxie n'est jamais imposé frontalement ; Heinlein se contente de poser des questions, et amène son (supposé jeune) lecteur à s'en poser d'autres encore. Et il fait ça d'une manière assez fine.

Mais abordons maintenant le contenu de cet ouvrage. Le héros, nécessairement, est un enfant, et la trame – assez relâchée d'ailleurs, le tout est assez picaresque et sent le fix-up – consiste en une quête des origines bien représentative du roman d'apprentissage typique du genre. Nous avons donc un enfant trouvé – c'est-à-dire tout d'abord un enfant perdu... – dont l'ascendance mystérieuse ne peut être que prestigieuse. Le petit Thorby ne se souvient pas de ses parents ; depuis quelques années déjà, l'orphelin réduit à l'esclavage passe de maître en maître dans les Neuf Mondes du Sargon. Lors d'une vente aux enchères dans la capitale (place de la Liberté...), un singulier mendiant unijambiste, Baslim, en fait l'acquisition pour une somme dérisoire. Mais Baslim est très différent des autres : il ne se comporte pas en maître, mais devient le « Pop » de Thorby ; il fait son éducation, intellectuelle, morale et pratique, et lui confie de temps à autre de mystérieuses missions. Il lui donne même des instructions précises pour quand il disparaîtra, un jour ou l'autre... Et ce jour arrive. Thorby quitte alors les Neuf Mondes, découvre progressivement la vérité sur son Sauveur et son combat en faveur de l'abolition de l'esclavage, et se lance dans une longue quête de ses parents et de son identité, qui le conduira des vaisseaux de la ligue des Libres Marchands à la Terre en passant par l'armée...

Tout au long de ce roman relativement décousu (on peut très clairement le découper en quatre actes), Heinlein manipule quelques thématiques essentielles : la liberté, bien sûr, mais aussi la famille et l'identité, et au-delà le poids des traditions et l'accomplissement personnel.

Le thème de la liberté, bien entendu, passe tout d'abord par la dénonciation de l'esclavage. Heinlein montre notamment que l'esclavage reste une réalité très contemporaine, ne serait-ce qu'aux frontières, dans un monde « civilisé » qui tend à le reléguer un peu vite dans un passé « barbare » et obscur, ou à refuser de voir la réalité de l'esclavage dès l'instant que l'on affiche la liberté comme principe (ainsi pour le nom de la place où se situe le marché aux esclaves) : le lien se fait aisément avec le monde dans lequel nous vivons. Mais Heinlein ne s'arrête pas là, heureusement : loin de se contenter d'un vague discours moralisant et parfaitement consensuel, il pose le problème de la liberté dans toutes ses dimensions, et invite notamment le lecteur à se méfier des apparences. En effet, on se rend compte bien vite que Thorby n'a jamais été aussi libre que quand il était supposé être l'esclave de Baslim ; une réalité dont il prendra surtout conscience en conversant avec une anthropologue lors de son séjour parmi les Libres Marchands. Ceux-ci revendiquent en effet leur liberté, ils l'affichent, ils s'en font une fierté ; mais leur liberté n'est que collective : les Libres Marchands sont libres sur un plan « national », pourrait-on dire, au sens où ils sont effectivement libres de naviguer à travers la galaxie, et ne dépendent politiquement de personne d'autre qu'eux-mêmes ; leur liberté s'assimile ainsi à une forme de souveraineté. Mais, au sein de la société des Libres Marchands, l'individu est tout sauf libre : enserré dans un rigide système de castes, il subit au nom de la tradition et d'une autorité supérieure incontestable une oppression dont il n'a même pas conscience ; ses choix, ses envies, sont pourtant niés au nom d'intérêts supérieurs : les Libres Marchands n'ont pas de droits, mais seulement des devoirs. Les expériences ultérieures de Thorby, que ce soit au sein de l'armée (dont Heinlein fait clairement l'éloge, pas de doute là-dessus, ce qui annonce d'ores et déjà Starship Troopers) ou ensuite sur Terre, ne feront que confirmer la complexité de cette notion, la relativité de la liberté, et la place singulière qu'y joue le désir.

Ainsi, les considérations les plus intéressantes à mon sens concernant la liberté se font-elles dans le cadre de la famille, et notamment dans l'épisode des Libres Marchands (très clairement la partie la plus intéressante du roman en ce qui me concerne). Et l'on voit bien ici tout ce que l'accusation souvent portée contre Heinlein, à savoir son caractère « réactionnaire » supposé, a de galvaudé. La famille, en effet, n'est certainement pas présentée ici comme étant « naturelle » et immuable, contrairement à une illusion dans laquelle bon nombre de prétendus « progressistes » semblent encore se complaire : elle est une création humaine, une institution juridique, en tant que telle susceptible de prendre bien des formes. Rien d'étonnant, sous cet angle, à ce que Thorby fasse la rencontre d'une anthropologue lors de son séjour chez les Libres Marchands ; on relèvera d'ailleurs que Heinlein se montre assez pertinent et inventif dans sa description des institutions sociales, que ce soit au sein des Marchands (la famille est oppressive, mais on notera que, de même que la famille libertarienne de Révolte sur la Lune, elle est étonnamment matriarcale ; petite provoc certainement pas gratuite de la part de l'auteur, dans l'Amérique très machiste des fifties...), ou à l'occasion de brèves esquisses concernant quelques sociétés extraterrestres avec lesquelles ils sont amenés à commercer ; j'avoue que je n'attendais pourtant pas Heinlein sur ce créneau « ethno-SF »... et je m'attendais encore moins à trouver des développements concernant l'exogamie et le tabou de l'inceste dans un roman destiné à la jeunesse ! Quoi qu'il en soit, tout au long de son périple, Thorby aura l'occasion de tester diverses structures familiales, et, finalement, d'opposer celles qui lui sont clairement imposées (la Famille des Libres Marchands, quand bien même il trouve dans ce système une indéniable sécurité pouvant ressembler a priori au bonheur, ce qui n'est certainement pas neutre sur le plan politique... mais aussi sa famille biologique, au sein de laquelle il ne peut être qu'un étranger) et celles qui, quand bien même elles lui sont imposées dans un premier temps, sont en définitive choisies par lui (Baslim, bien sûr, qui restera toujours son « Pop »... mais aussi l'armée ; eh, nous sommes dans un bouquin de Robert Heinlein !).

Ainsi, si l'identité est pour une part la résultante de pressions extérieures, de diverses contingences, qu'elles soient biologiques ou sociales, Heinlein semble nous montrer qu'elle se construit avant tout (ou qu'elle devrait se construire, idéalement) par des choix personnels. On retrouve très clairement ici l'optique plus ou moins libertarienne d'Heinlein, avec cette thématique de l'accomplissement personnel, pour ne pas dire de l'entreprise individuelle (au passage, on voit que, sur le plan économico-politique, les choses ne sont pas si simples que l'on pourrait le croire ; l'épisode des Libres Marchands, encore une fois, est très instructif à cet égard). Thorby ne deviendra lui-même qu'au travers de ses choix, et de son action personnelle : la fin du roman, que je ne vais pas dévoiler ici, en témoigne assez.

Ca fait pas mal de choses, non, pour un « juvenile » ? En ce qui me concerne, cela justifie amplement la lecture de Citoyen de la galaxie. Certes, on ne parlera pas de chef-d'œuvre, hein : le style est inexistant pour ne pas dire médiocre, l'histoire finalement assez secondaire, et certains passages peuvent faire sourire ou soupirer, en fonction de l'humeur (je pense notamment à une brève scène devant la statue d'Abraham Lincoln, sans doute incontournable pour un jeune lecteur américain, mais qui ne manquera pas d'interloquer tout autre lecteur...) ; ce n'est en rien une lecture indispensable. Mais je ne m'attendais pas à un chef-d'œuvre ou à un incontournable en entamant la lecture de Citoyen de la galaxie. Et, pour dire les choses comme elles sont, j'y ai finalement trouvé davantage que je n'en attendais...
Nébal
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le 23 oct. 2010

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Nébal

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