C’est un roman d’une densité rare, qui nécessiterait (comme Pays de Neige) de mieux connaitre la société japonaise pour saisir avec finesse les enjeux sociaux. Pour faire court, le lecteur français est plus à l’aise, plus réceptif avec Norpois chez les Guermantes qu’à la table des Yoshikawa au théâtre de Nô.
Ce roman, qui déplie sur 500 pages la déliquescence d'un couple au long d'une toute petite semaine, m’a renvoyé sans cesse à Proust et à Moravia. Pourtant, il leur est à tous deux antérieur. J’imagine impossible que Sôseki, qui est mort en 1916, ait même entendu parler de Proust, traduit en japonais après 1920.
De Proust, il y a la décomposition des sensations, le lien entre le souvenir, l’émotion et le physique décomposé à l’extrême (en particulier le passage où la pensée coupable de sa femme réveille la douleur chez le héros).
De Moravia, il y a la place excessive accordée à l’imaginaire de l’autre. Le gouffre de soupçon qui s’ouvre dès qu’un lien de confiance est cassé entre deux êtres. C’est le même dans lequel sombre le narrateur vis à vis d’Albertine, mais je trouve ça plus frappant quand les deux personnages sont plus engagés dans la relation. Dans Le Mépris, Camille reste également lointaine de la narration, mais est plus présente qu’Albertine. Ici, le soupçon ronge le héros féminin comme le héros féminin et c’est réussi, le trouble n’en est pas moins profond.
Le fait que le roman soit inachevé est délicieux, laisse place à une interprétation (qui est pour moi plus optimiste que le reste du roman).
En bref, une lecture qui compte, mais une lecture qui peut s'avérer difficile, tant certains enjeux échappent au lecteur non spécialiste du Japon.