Comment j'ai fait mon dictionnaire par Nina in the rain
Dans mes obsessions et monomanies, j'ai aussi celle des dictionnaires. J'adore les dictionnaires. Je pense que je le dois à mon père qui, un jour que petite je me plaignais de ne rien avoir à lire (eh oui, ceux qui plaignent mon mari devraient penser à mes pauvres parents qui ont supporté mes « j'ai rien à lire » depuis mes 4-5 ans jusqu'à mon premier salaire ...) un jour donc que je me plaignais, il m'a dit en passant « t'as qu'à lire le dictionnaire, hé ! ». Que n'avait-il pas dit ? J'ai pris le petit Robert, j'ai commencé à « A » et j'ai lu. Pas en entier, pas cette fois-là bien sûr, mais au fur et à mesure des années, de temps en temps, je me fais quelques pages de dictionnaire. C'est un vrai plaisir, une plongée délicieuse dans des mots, des sens ou des usages inconnus, et les citations sont autant de pistes de lectures à envisager. Plus tard, quand j'ai eu grandi un peu, j'ai souhaité étudier la philologie.
La philologie est l'étude de la linguistique historique à partir de documents écrits. Elle vise à rétablir le contenu original de textes connus par plusieurs sources, c'est-à-dire à choisir le meilleur texte possible à partir de manuscrits, d'éditions imprimées ou d'autres sources disponibles (citations par d'autres auteurs, voire graffitis anciens), en comparant les versions conservées de ces textes, ou à rétablir le meilleur texte en corrigeant les sources existantes. (c) Wikipédia
Malheureusement, il n'existe pas d'études de philologie en France. Il aurait fallu aller en Allemagne et je ne maîtrise absolument pas l'allemand. Aujourd'hui, je crois que je le ferais quand même, quitte à apprendre l'allemand malgré ma profonde nullité grammaticale, mais à l'époque ça m'a rebutée. D'ailleurs, si quelqu'un de haut placé au Ministre de l'Éducation Nationale passe par là, il faudrait créer un cursus de philologie. Bon, ok, il n'y aurait peut-être qu'une seule élève, mais je promets de ne sécher aucun cours.
De tous temps, je me suis passionnée pour une question : « qui décide des mots ? « . Une table s'appelle une table. Ça vient du latin tabula, une planche, une tablette, ça a donné aussi tabellion qui est un joli mot même si inusité et tabulation que j'utilise beaucoup dans mon travail quotidien. Bon, c'est bien. Si on remonte plus loin on trouvera d'où les latins ont sorti ce « tabula » et on peut remonter extrêmement loin. Rien que ça, je bave de plaisir tellement ça me passionne. Mais au début ? Au tout début ? Qui a décidé qu'un assemblage de quatre pieds et une planche s'appellerait « table » ? Et pourquoi pas « gravitation » ou « nuage » ? Pourquoi ? Qu'est-ce qui, dans « gravitation » donc, a fait penser au poids au premier homme qui l'a utilisé ? Les mots modernes, c'est facile. Et d'ailleurs on ne les forge pas comme ça, on fait des assemblages de mots déjà existants : téléphone, automobile, bibliothéconomie ... Mais les anciens ? Voilà, ça, ça me passionne, ça me fascine, j'aurais aimé étudier ce genre de choses mais bon, je n'ai pas pu.
Du coup, pour compenser, je lis des dictionnaires et, comme beaucoup, le Littré est devenu un objet de plaisir en plus d'être le dictionnaire de référence. Du coup, quand j'ai vu un jour ce petit bouquin orange sur une table de librairie, je suis tombée immédiatement en arrêt devant et je n'ai eu de cesse qu'il rejoigne ma bibliothèque. Ça a été un peu compliqué puisqu'il a été en rupture quelques temps mais je l'ai retrouvé caché dans une librairie et hop.
Franchement, quel plaisir ! Ça se lit vite, presque trop, et ce sera mon seul regret puisque je serais bien restée plus longtemps en compagnie d'Émile Littré. Étape par étape, année par année, il décrit comment il a fait son dictionnaire. Comment il a, lettre après lettre, retravaillé les définitions. Comment, avec beaucoup d'aide, il a fait des petits paquets de citations, triées par ordre alphabétique, puis tout recopié inlassablement, maintes et maintes fois, à la main, jusqu'à obtenir une copie qui lui paraissait bonne, qui pouvait partir pour l'imprimerie et... être recorrigée encore quatre ou cinq fois avant d'être parfaite. Comment ces paquets de feuillets ont voyagé dans des caisses, de cave en cave, pour être protégées de l'avancée des Allemands (c'était au moment de la guerre de 1870), comment sa bibliothèque a failli brûler... Mais aussi son emploi du temps heure par heure, son travail minutieux, ses moments de doute et ses moments de joie ...
À mon avis, pour quelqu'un qui s'intéresse à la lexicographie ou même simplement à l'histoire de la langue, ce petit ouvrage est un indispensable. Agréable à lire, il coule tel une rivière, ne présente à mes yeux aucune longueur ni paragraphe dispensable. Je suis ravie de cet achat et de cette lecture !
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