Israël, ses bienfaits et méfaits
Le peuple juif mérite enfin un territoire, ce qui doit être défendu, mais le risque d'une dimension purement théocratique peut faire vaciller le rêve en cauchemar, en sus si elle est teintée de...
le 22 oct. 2020
Je ne jugerai pas de la véracité du contenu de l'ouvrage de S. Sand : pour le faire, il me faudrait aborder la littérature secondaire et l'historiographie sioniste et non-sioniste du sionisme. Dans quelques années, peut-être.
Pour que les choses soient claires dans cette critique :
1. Je ne prends pas parti. Le sionisme m'emmerde comme m'emmerde l'histoire politique en général. L'histoire du judaïsme m'intéresse, comme l'histoire de toutes religions et des croyances en général.
2. Je ne m'intéresse donc qu'à la construction des grands mythes qui donnent aux hommes de se construire une identité mémorielle (que je trouve ça bizarre et inutile, quand cela tombe dans les excès de la revendication).
3. Je n'ai abordé ce livre qu'après une petite prise de bec avec un ami, à qui il est pour le moment impossible d'aborder le conflit israélo-palestinien sans ramener immédiatement au domaine de l'évaluation morale les faits rapportés - avant même de disposer même d'un mini-panorama clair si possible un peu objectif des "faits" et de la façon de les constituer.
J'aborde donc le bouquin de Sand comme un novice sur ces questions.
Le propos est assurément engagé. L'histoire des populations de Judée et de l'expansion du judaïsme est aussi complexe que l'est devenue la façon de faire cette histoire. L'idée de Sand est que bien des arguments lancés dans le débat en faveur d'un droit des juifs sur le territoire d'Israël sont en fait des éléments de mythologie nationale, construits depuis le XIXè siècle au mépris des documents historiques que des contraintes historiographiques de plus en plus exigeantes ont demandé d'interpréter au cours du XXè siècle. La disjonction, en effet étrange, entre les facultés d'histoire générale et d'histoire du peuple juif dans les universités israélienne, entretiendrait le peu de pénétration de ces nouvelles façons de voir chez les chercheurs des secondes, surtout attachés à défendre la mythistoire greffée via la construction des programmes scolaires dans l'esprit de tout israélien.
Et pourtant. Il paraît assez clair que l'idée d'un peuple juif, née à l'époque où tout européen se voulait "ethniquement" rattaché à des racines historiques anciennes (idée qui explose dans la seconde moitié du XIXè siècle), partage avec les idées européennes (françaises, allemandes, finlandaises, etc.) du même tonneau la construction essentiellement mythologique, le fonctionnement mythique et les enjeux politiques. Elle souffre donc de la même faiblesse vis-à-vis des sources et demande à être ancrée dans une étude poussée de l'archive, si l'on veut s'assurer qu'elle relève bien d'une vérité historique.
En analysant les ressort historiographiques qui ont permis la mise en place de l'idée d'un peuple errant, chassé de sa terre, resté pur parce que séparé dans ses périples à travers toute l'Europe, et en droit de reprendre possession d'un territoire qui n'a été peuplé que tardivement dans le XIXè siècle, Sand trace le portrait bien plus d'une collusion entre les historiens et l'idéologie (le sionisme) que celle d'une mise au jour patiente de la vérité. Certes, il est de parti pris, et l'on se doute, à le lire, de la présence d'oppositions franches au sein de la communauté hétérogène des deux types d'historiens israéliens. L'ouvrage est clairement orienté par la légitimité d'une autre thèse - qui semble en effet bien plus vraisemblable que celle présenté à charge :
Les arguments présentés plus haut relèvent en fait d'une construction tardive, le "peuple juif" européen étant en fait massivement descendant de prosélytes (non nécessairement sémites, puisqu'il n'y a jamais eu d'exil massif, l'exil des juifs étant l'instrumentalisation d'un mythe chrétien ancien à l'époque où être juif en Europe chrétienne était plutôt invivable), prosélytes issus des périodes d'expansion militante du judaïsme pendant l'antiquité ; et les arabes à qui on réclame la terre seraient en réalité les populations judéennes autochtones (juives probablement) converties à l'islam lors de la prise de contrôle, favorisée par les Juifs alors sous le joug de Byzance, de la région par les populations arabes (ce que savaient fort bien, les sionistes d'avant le milieu des années 30, puisqu'ils en avaient fait un argument en faveur de la localisation de, l'Etat juif en Judée).
Se non è vero è ben trovato ! Ce type de déformation historique est du même type que celui qui a par exemple présidé à l'invasion aryenne en Inde (probable fantasmagorie occidentale, construite pour les même motifs raciaux dans le courant du XIXè siècle lors des oppositions entre France et Allemagne - voir Danino, L'Inde et l'invasion de nulle part, Belles Lettres, 2006). On prend plaisir, réellement, à suivre Sand dans sa patiente déconstruction. Sa vigueur d'une ironie parfois mordante contre ceux qu'ils considère comme des falsificateurs historiques l'amène certes à distribuer chaque historien étudié sur une échelle linéaire d'une non-subtilité discutable allant du plus fanatique-mythologue au plus rigoureux-scientifique. Et s'il prend des risques, car il se voit obligé de traverser les frontières de spécialisations très diverses, au point qu'on se sent parfois un peu en manque de preuves/références, il a au moins le courage intellectuel de poser clairement les débats historique et historiographique, pour mieux faire apparaître ces choses qui, vu d'ici, semblent si évidentes mais qu'en contexte, l'on dirait recouvertes d'une bonne dose d'idées reçues idéologiques - point qui resterait à confirmer précisément par des lectures annexes.
Je ne sais pas avec certitude si la vérité est de son côté - sans doute pas de façon aussi tranchée que son récit le laisse parfois entendre (ses critiques des études génétiques laissent franchement à désirer, tant d'un point de vue épistémologique que du point de vue des résultats qu'il s'essaie à contrer, n'ayant ici que son ironie à opposer à des études reconnues à l'échelle internationale). On trouve aussi sur le web des mises en perspective de ce style : http://ce399fascism.wordpress.com/2010/06/29/israel-bartals-response-to-shlomo-sands-invention-of-the-jewish-people-haaretz-72008/ . Il n'est pas totalement à exclure que Sand soit, lui aussi, influencé dans son interprétation du donné par sa formation marxienne.
Ca n'aporte pas d'eau à mon moulin - il n'y a du point de vue de l'histoire des hommes rien que de très banal, les comportements décrits étant identiques à ceux qu'a connu l'Occident au XIXè siècle. Ouk estin pan prosphaton hypo ton hèlion - Nihil novum sub sole - Qoheleth.
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Créée
le 19 août 2012
Modifiée
le 7 sept. 2012
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