Être journaliste, c'est imprimer quelque chose que quelqu'un d'autre ne voudrait pas voir imprimé. Tout le reste n'est que relations publiques.

The Prevention of Literature est initialement un essai parut en 1946 dans le magazine Polemic. L'origine de cet écrit, pour rappel publié au lendemain de la guerre, provenant d'une assemblée du PEN Club, à l'occasion du tricentenaire de l'Areopagitica de John Milton et à laquelle George Orwell a assisté. Outre le niveau discutable des quatre conférenciers, c'est le fait que strictement personne ne fit remarquer que la liberté de la presse suppose la liberté de critiquer et de contester, ou encore que personne ne cita le pamphlet qu'ils prétendaient commémorer, qui donna alors à l'auteur britannique l'idée de l'écriture de cet essai.

Si Comment meurt la littérature (ou L'empêchement de la littérature en fonction de la version que vous vous procurez) n'est certainement pas l'écrit de l'écrivain le plus mémorable, notamment parce que concluant, d'une certaine manière, ce qu'il avait déjà vu de ses propres yeux et rapportés dans Hommage à la Catalogne ; mais aussi, parce que traité plus tard dans 1984 ; cela n'empêche pas que l'essai dont il est question ici possède, rétrospectivement mais pas que, quelques atouts rendant sa lecture encore intéressante aujourd'hui.


Encore une fois, l'écrit datant du lendemain de la seconde guerre mondiale, Orwell cite deux ennemis de la liberté intellectuelle, deux ennemis de la vérité : "l'ennemi théorique, les apologistes du totalitarisme, et de l'autre ses ennemis pratiques, immédiats, les monopoles et la bureaucratie." Si le second ennemi cité existe malheureusement encore aujourd'hui, en ayant conservé le même visage, ce n'est pas le cas du second, autrefois clair partisan de l'URSS, qui a dû muter pour survivre, se réincarner sous une autre forme. Se concentrant davantage sur ce second ennemi que sur le premier, Orwell met le doigt sur l'un des enjeux de son époque : le droit de rapporter fidèlement les événements, le rôle fondamental de la littérature dans la possibilité même d’une pensée libre. Forcément, le Parti communiste anglais et plus particulièrement le mythe russe mis en avant par les intellectuels anglais sont mis en cause : modifiant les faits établis ou, tout simplement, usant de leur influence afin de faire en sorte qu'ils soient mentionnés le moins possible (tel que la guerre d'Espagne ou le pacte germano-soviétique).

Sur ce point, difficile de donner totalement tort à l'auteur. Ces craintes, concernant la transformation de l'écrivain, de l'artiste, "en une sorte de fonctionnaire subalterne, chargé de travailler sur des sujets qu'on lui impose d'en haut, sans qu'il puisse dire ce qui lui semble être la vérité pleine et entière" ce sont malheureusement belles et bien produites : il suffit, au hasard, de voir le nombre de journalistes recopiant bêtement les dépêches de l'AFP, ou encore le nombre de "faiseurs", dans les médias "consuméristes" (tel que le jeu vidéo ou le cinéma), pour s'en convaincre. Et je ne parle même pas de la remise en cause des faits établis, qui semblent devenir une compétition aujourd'hui.


Orwell critique aussi un certain "effet domino" allant de l'écrivain au scientifique. Sans aller jusqu'à reprendre directement la célèbre citation du pasteur Martin Niemöller, on retrouve cette logique comme quoi certains statuts, et en l'occurrence certains métiers, seraient plus en danger que d'autre. L'écrivain sera alors la première cible du totalitarisme, là où le scientifique sera toujours mieux traité, car nécessaire pour le pouvoir en place. On retrouve surtout ce même constat appliqué intrinsèquement à l'écrivain, séparant alors le poète du prosateur, le premier pouvant encore être nécessaire à un État totalitaire, pour l'écriture de chant patriotique par exemple, là où le prosateur sera forcément perçu comme un ennemi s'il ne suicide pas sa pensée de lui-même. Il est tout de même regrettable de voir Orwell dédaigner la poésie, affirmant très clairement que ce que le poète dit est assez peu important, même pour lui-même.


La dernière partie se révèle être la plus intéressante de l'essai, l'auteur britannique imaginant alors une société dystopique dans laquelle, à terme, plus personne ne lirait, et dans laquelle les productions cinématographiques et radiophoniques auraient supplanté la littérature. Point qui m'a, malheureusement, fait rire, il prédit le fait que les machines pourraient écrire des livres et des films à la place des humains… avant de citer les films Disney, directement comparé à une industrie dans laquelle les artistes doivent reléguer leur style individuel au second plan. Je suis certains que si Orwell revenait à la vie, il se suiciderait probablement après avoir vu les Avengers.

Ce qui est paradoxal en fait, c'est que, si Eric Arthur Blair se trompe complètement sur certains points, notamment en misant sur le fait qu'une société totalitaire (tout du moins une société totalitaire comme il l'entend) pourrait voir le jour d'ici à quelques décennies ; ses craintes concernant ce qui adviendrait à l'art si celle-ci venait à exister ne sont pas tant erronées que ça… loin de là même puisqu'une partie d'entre elles se sont produites.


Bref, encore une fois, Comment meurt la littérature, bien que loin d'être inintéressant, n'est pas un indispensable dans la bibliothèque de l'écrivain. On est sur de l'essai prédictiviste, de l'abstraction, certes, ô combien nécessaire au lendemain d'un conflit aussi violent et inhumain que celui de la seconde guerre mondiale, mais sur un essai malheureusement très ancré dans son temps. Il faut bien admettre qu'il faille tordre, ne serait-ce qu'un minimum, la majorité des choses qui y sont écrites afin de les faire correspondre avec la réalité d'aujourd'hui. Dans un but purement rétrospectif, Comment meurt la littérature se révèle donc plus intéressant, encore plus dans une démarche qui consisterait à examiner (l'évolution de) la pensée de l'auteur. Cependant, pris dans un but qui consisterait à évaluer la capacité de l'auteur à prédire ce qui adviendra dans le futur, l'essai s'avère déjà moins intéressant... quoique, pourtant, difficile de lui donner tort sur toute la ligne quand on lit cette phrase de conclusion :

Ce qui est terrible est que les ennemis les plus résolus de la liberté sont ceux pour qui elle devrait avoir le plus d'importance. Le grand public ne s'intéresse pas au problème, dans un sens ou dans l'autre. Il ne tient pas à ce qu'on persécute les hérétiques, mais ne se fatiguera pas à les défendre.

Ah ! Oh fait ! J'oubliais, vous connaissez Julian Assange ?

MacCAM
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le 28 juil. 2022

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MacCAM

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