Basé sur les mémoires de l'Inca Garcilaso, un métis à moitié espagnol du XVIème siècle qui critiquait le colonialisme et le capitalisme espagnol et européen en lui opposant la mémoire de son oncle sur le système inca.
Voyant que les métis et les Incas étaient traités en inférieurs dans une Espagne catholique qui prétend apporter la civilisation, la morale et une religion de paix, d'amour et d'égalité entre tous ses enfants, Garcilaso a écrit Commentaires royaux sur le Pérou des Incas pour mieux critiquer implicitement le système espagnol colonial (pour échapper à la répression de l'Inquisition et de la censure).
Ses Commentaires permettaient de défendre le système inca, supposément plus égalitaire, collectiviste et plus moral que celui des Espagnols.
Mais comme il ne pouvait pas le critiquer ouvertement, il y raconte que les Incas étaient déjà "civilisés" par Manco Capac - présenté comme l'équivalent du Dieu chrétien - qui les as sauvés de la "barbarie".
Et qu'en plus, il y avait un système de redistribution équitable des terres et des vivres selon les besoin de chacun (une sorte de "communisme primitif" selon certains historiens marxistes). Système garanti par les seigneurs et l'empereur Inca.
Donc pas tellement "communiste" en sorte, contrairement à ce que disent certains historiens aussi bien marxistes, anarchistes et même anticommunistes (Baudin reproche le côté "anti-individualiste" du système inca jugé trop communiste et empêchant "l'émulation" civilisatrice de la société par l'enrichissement individuel).
Il est plus probable que le système inca était un mélange de centralisation étatique (car y a des princes qui gardent des privilèges) et de communalisme qui existait déjà avant l'arrivée des Incas au pouvoir dans les Andes (où des peuples sud-américains pratiquaient déjà la redistribution équitable). Les deux systèmes arrivaient à cohabiter ensemble tout simplement.
Mais Garcilaso, les anarchistes, les communistes et les indigénistes retiennent surtout la partie communaliste du système andin (vue comme bienveillant et satisfaisant l'intérêt général pour de vrai), pour ainsi mieux critiquer le capitalisme (jugé à raison comme favorisant l'intérêt cupide et égoïste en maquillant ça comme "intérêt individuel"), l'étatisme et le colonialisme européocentriste.
Au moins, Gomez-Muller (auteur de l'essai) et autres analystes critiquent aussi la vision "paternaliste" de Garcilaso qui présente lui aussi les peuples pré-Incas de "barbares" civilisés par les guerres menées par les Incas (vision un poil similaire à celle des Espagnols, XVIe siècle oblige puis pendant la colonisation du XIXe siècle). Et je trouve aussi que l'Inca minimise le côté religieux et la hiérarchisation du système andin (pas oublier que le sous-titre du bouquin de Gomez-Muller est La mémoire utopique de l'Inca Garcilaso).
Dans un sens, on pourrait même dire que le système andin selon notre Inca serait plus proche de la "monarchie fédérale" à la belge et/ou fantasmée par certains royalistes français qui croient à tort que la monarchie française était "plus égalitaire" que la République.
Sinon, la première partie du livre pourra paraître paraphrasée ou redondante à certains lecteurs.
Mais ça s'arrange à la seconde, plus prenante ;
Y a une partie géniale où l'auteur cite Gonzalez Prada et qui défend le communalisme inca (considéré comme du communisme primitif) contre le capitalisme à l'européenne comme modèle de civilisation. Garcilaso avait aussi imaginé un dialogue entre la Vertu (andine) et la Ruse (espagnole), cette dernière masquant à peine ses mauvaises intentions pour tenter de convaincre la première d'abandonner le juste collectivisme au profit de l'égoïsme cupide.
Prada considère aussi que les marqueurs d'une civilisation ne sont pas la science ou l'art, mais la justice et la morale (pratique pour contrer les bandeurs de l'art ancien contre l'art contemporain, ou les conservateurs réacs, vu que leurs époques ont certes donné de la beauté esthétique mais où existait encore l'esclavage et le servage par exemple).
Pour citer Gonzalez Prada vantant le modèle de communalisme andin :
Là où il n'y a pas de justice, de miséricorde ni de bienveillance, il n'y a pas de civilisation ; là où l'on proclame loi sociale la struggle for life, règne la barbarie [...]
Bref, l'Inca est utopique, fantasme mais propose une juste remise en question de l'idéal capitaliste européen.
Les anarchistes et communistes se sont ensuite emparer des Commentaires de Garcilaso, mais parlaient d'abord du système inca comme du "communisme primitif" de façon paternaliste (genre, les Indiens du Pérou auraient "perdu" le sens du communisme et faudrait leur réapprendre).
Mais heureusement le péruvien Mariatégui (indigéniste), Rosa Luxemburg et même Marx, reprennent la lecture des Commentaires royaux par Garcilaso et disent que les descendants des Incas se souviennent très bien du "communisme agraire" inca.
Ils ne disent plus "primitif", du moins jamais de façon péjorative, pas dans le sens "archaïque" plutôt dans le sens "premier", utopique, juste, équitable.
Les métis et descendants d'Incas étant de surcroît maltraités par la minorité blanche hispanique encore aux XIXeme-XXe siècle, ceux-ci se remémorent Garcilaso et le communalisme andin et s'en servent comme modèle à opposer au pouvoir (mais le livre ne cite jamais le Sentier Lumineux marxiste-léniniste, très sectaire et violent car probablement inspiré du ML européocentriste et pas du communisme andin).
Le "communisme" inca est donc légèrement différent du communisme à l'européenne car on met plus l'accent sur la redistribution à chacun selon ses besoins, que sur la hiérarchie (bien que présentée comme bienveillante chez les Incas, quoique faisant fi de la guerre civile entre seigneurs incas, une des causes de la chute de leur empire par les Espagnols).
Pour conclure, quoique présentant une vision fantasmée du système inca, celle-ci est une juste remise en question du capitalisme et du colonialisme espagnol dès les XVIe siècle. Et les paroles et la mémoire de l'oncle de Garcilaso peuvent être transposées encore aujourd'hui pour proposer une alternative viable face un capitalisme prédateur favorisant des intérêts égoïstes. Tandis que que le communalisme andin de Garcilaso peut satisfaire à la fois l'intérêt général et individuel.