Edgar Allan Poe, Une autre version de son histoire...

Ce que nous apprend Claude Richard dans la biographie de cet ouvrage remet beaucoup de choses en question. Cette édition est le fruit d'une vie de recherche consacré à Poe, et je penses que certains points méritent d'être soulignés pour lui rendre hommage. Les personnes ayant lu Poe via les œuvres de Baudelaire pourraient trouver le sujet intéressant. Attention, cela risque d'être long :)

Ce que nous savons d'Edgar Allan Poe en France repose essentiellement sur trois appropriations. Celle de Rufus W Griswold, celle de Charles Baudelaire, et celle de Marie Bonaparte. Je vais citer ci-dessous quelques extraits de la biographie, pour vous donner une idée des déformations qui se sont succédé.

Rufus W Griswold :

Tout commence part des critiques de ce dénommé Grisworld, à qui Poe confia le soin d'éditer ses ouvrages, et qui se l'appropria sous le signe maléfique d'une présentation infamante. Ce texte est la source première de la plupart des distorsions reçues jusqu’à aujourd'hui. Griswold se vengeait apparemment d'humiliations et de déconvenues sentimental en maniant l'arme terrible de l’Amérique : La morale. Au lendemain de la mort de Poe, il écrit dans un article signé Ludwig : "Edgar Allan Poe est mort à Baltimore avant hier. Cette annonce surprendra beaucoup de gens, mais peu d'entre eux en éprouveront du chagrin". Il consacra l'année suivante à ciseler ses infamies, à réécrire certaine lettre de Poe, a suggérer fielleusement d'obscures débauches, l'ivrognerie, le déshonneur et l'inceste. Ce réquisitoire, paru en tête du troisième tome des œuvres posthumes, est un chef d’œuvre d'ambiguïtés suggestives, de faux vraisemblables, de mensonges masqués, et d'indignation superbement joué. Grisword s'attaque d'abord à l'homme, pour ensuite discréditer l’œuvre, et faire passer le talent de Poe pour le résultat de sa folie. Dans les écoles presbytériennes d’Amérique et d’Angleterre, on racontera aux enfants la vie de Poe selon Griswold, pour illustré la rétribution des pêcheurs. La légende à définitivement masqué l’œuvre. Qui entend les protestation de Sarah Helen Whitman, de John Neal, de George Graham, de Geaorge W. Peck, de Mrs Nichol ou de Mrs Weiss, ceux qui l'ont vraiment connu ? Seul le mémoire de Griswold est cité...


Charles Baudelaire :

Lorsque Baudelaire tombe par hasard sur deux articles anonymes du Southern Literary Messenger, c'est Poe de Griswold qu'il découvre. D'ailleurs, ce n'était pas l’œuvre de Poe qui l'avait séduit. Lorsque il publie « Edgar Allan Poe, sa vie et ses ouvrages (1852), il n'en connaissait presque rien. Sa notice suit de près les articles de JR Thompson et de J Daniel paru anonymement en novembre 1849 et mars 1850. Baudelaire s'éprend donc d'un Fantôme, qui hantera à jamais ses commentaires et traductions. Hors le portrait de Poe dépeint par Baudelaire est radicalement faux. N'en déplaise aux critiques baudelairiens qui ne cesse de répéter que Baudelaire ne se serait pas inspiré de Griswold mais de Thomson et de Daniel. Ils ignorent que la source de Thomson et Daniel est encore Griswold, mais sous le nom de Ludwig. Ainsi, ce sont les calomnies de Griswold qui se retrouve non seulement dans la première étude de Baudelaire sur Poe en 1852, mais encore dans sa préface aux histoires extraordinaires, texte qui à leur tour, inspireront Mallarmé, Rimbaud, Valéry, le Sar Péladan et beaucoup d'autres, jusqu'à André Breton et Marie Bonaparte.

[….] Même si dans un premier temps Baudelaire sait préserver la distinction entre l'écrivain et son personnage, il détruira la portée de ses remarques en réintroduisant aussitôt la confusion : « La genèse de cette œuvre terrible de froideur s'explique par l'ivresse qui pouvait servir d'excitant aussi bien que de repos et par l'opiomanie. L'espace est approfondi par l'opium qui donne un sens magique à toutes les teintes, et fait vibrer tous les bruits avec une plus significative sonorité. »
C'est ici la première mention de l'Opium à propos de Poe, c'est la contribution personnelle de Baudelaire au mythe. Nul chercheur n'a jamais découvert la moindre trace de drogue dans la vie de Poe, si ce n'est cette unique dose de laudanum prise – pour se suicider ou se calmer une rage de dent - nul ne le sait. On retrouve d'ailleurs dans la biographie de Woodberry la citation suivante : « Si Poe avait eu l'habitude de l'opium quand je l'ai connu, je l'aurais découvert en tant que médecin et homme d'observation, lors de nos différentes rencontres. Je n'en vis aucun signe et je considère que l'accusation est une médisance sans fondement. » puis dans une réponse de John Carter : « Si la pratique des drogues lui avait été habituelle, nous l'aurions certainement détectée, puisqu'on comptait parmi ces fréquentation plus d'une douzaines de médecins. »


Marie Bonaparte :

L'étude psychologique de Marie Bonaparte n'est pas le fruit d'une enquête originale car elle se base presque exclusivement sur l’œuvre de Hervey Allen « Israfel : The life and times of Edgar Allan Poe », paru en 1926. Première entorse inévitable à une démarche scientifique qui se doit d'être fondée sur le témoignage direct de son patient. Mais il y a plus grave, elle ignore que l’œuvre de Hervey Allen fut d'abord conçu comme un roman, et fait une large place à la spéculation sans renoncer au lyrisme personnel. Libéré des exigences de la biographie, Allen fait usage de tous les documents, même les plus douteux (notamment ceux de Griswold) sans s'inquiéter de leur véracité.

Marie Bonaparte fonde son diagnostic sur trois hypothèses qui n'ont pu être vérifiées :

- Edgar Alan Poe aurait été mis en présence de sa mère morte et cette vision serait à l'origine de sa nécrophilie.
- Il aurait avant l'age de 2 ans entrouï ou entraperçu le coït parental, et ces troubles nocturnes serait à l'origine d'une conception sadique du coït.
- Enfin, elle suggère qu'il aurait ressenti inconsciemment la présence d'un amant de la mère, en s'appuyant sur un courrier que John Allan (père adoptif d' Edgar) écrivit à William Henri Poe ( son frère aîné), l'informant que Rosalie (sa sœur puînée) n'était que sa demi Sœur. Allan parle également des « erreurs des défunts », mais cette accusation d'inconduite n'a jamais reçu de confirmation. Marie Bonaparte en fait néanmoins l'une des bases de son argumentation.

On comprend donc que l'introduction de Marie Bonaparte est un tissus d’exagérations et de contresens. Par exemple, de préférence aux minutes des procès verbaux d'ivrognerie dressés aux étudiants de Virginie où Poe ne figure jamais, Marie Bonaparte retient les réminiscences d'un hypothétique camarade de chambre, de préférence aux documents officiels de l'académie de West Point. Elle fait crédit au récit manifestement canularesque d'un condisciple, et affirme dans la foulée que la sobriété irréfutable de Poe pendant son long séjour sur l'île Sullivan était l'exception. Traduisant « tavern » (hôtel) par « taverne », elle cède à la tentation de l'anecdote symptomatique : « son premier refuge fut – trait caractéristique – une taverne. » Plus loin à « vine », innocente plante grimpante, sera une « vigne », qui donne l'alcool que Poe trop aima.

Un dernier exemple : Marie Bonaparte, qui pourtant se plaît à corriger les traductions de Baudelaire là où elles pourraient affaiblir sa thèse, fait grand cas de cette phrase : « Et puis il m'était impossible d'oublier ce que j'avais lu au sujets de ces puits, que l'extinction soudaine de la vie était une possibilité soigneusement exclue par l'infernal génie qui en avait conçu le plan. », qu'elle commente ainsi : « Pour trouver la satisfaction érotique de la femme, il eut fallu affronter le puits, puits construit de telle sorte ''Par l'infernal génie qui en avait conçu le plan'' – les pères, Dieu, le Créateur – que l'extinction soudaine de la vie était une possibilité soigneusement exclue, ce qui équivaut à insinuer que ce puits était hérissé de couteaux (sic) , d'objets tranchants auxquels on restait déchiqueté et suspendu – bref, était un cloaque denté ». On s’apercevra combien la subreptice insertion du père et de la mère et de son vagin denté est arbitraire lorsque l'on constate que les « objets tranchants » ne paraissent nulle part dans la phrase citée, et surtout lorsqu'on aura noté que « l'infernal génie » (« les pères, Dieu, le Créateur » de l'analyste) est dû à un grossier contresens de Baudelaire sur une expression signifiant « une possibilité soigneusement exclue par la très horrible disposition des lieux ».

Il ne s'agit pas d'affirmer que Poe ne fut pas névrosé. Il s'agit bien au contraire, de dire qu'en choisissant exclusivement les traits qui participent de cette névrose et en défendant l'idée que l’œuvre tout entière est dictée, dans ces moindres images, par cette névrose, la thèse psychanalytique fait fi de l'histoire et de la linguistique, qu'elle réduit la multiplicité des sources de l'expression artistique aux seuls processus relevant de la psychologie pathologique.

Je vais arrêter ici les citations, car il pourrait y en avoir beaucoup d'autres.

A bon entendeur : La biographie fait en tout 40 pages, ayant toutes un contenue très riches d'informations. Je conseils vraiment cette Édition, qui est une vrai mine d'or pour enrichir sa collection. Cet intégral comprend également des nouvelles qui n'ont jamais été publiées ou reprises par Baudelaire, ce qui peut valoir le coup d’œil pour ceux qui connaissent déjà les autres histoires.
Blodwez
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le 6 juil. 2014

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Blodwez

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