Avec les « Contes et Légendes inachevés » (CLI), on entre dans les écrits de Tolkien qui ne parleront qu'aux passionnés. En effet, inutile de lire ce premier tome, par exemple, sans avoir déjà une solide connaissance du « Silmarillion », dont il complète deux des meilleurs contes. Ainsi, le premier se nomme « De Tuor et sa venue au Gondolin ». Il s'agit d'un développement inespéré de l'histoire nommée « La chute de Gondolin », le tout premier récit jamais écrit par Tolkien au sujet de la Terre du Milieu. Pourquoi ai-je dit « inespéré » ? Parce que, comme je l'avais déjà fait remarquer dans ma critique des « Enfants de Húrin », le Premier Âge d'Arda, malgré une mythologie extrêmement fouillée, n'a jamais bénéficié de récits véritablement immersifs. La plupart des contes du « Silmarillion » survolent l'aube de l'Histoire des Elfes et des Hommes, un peu comme des résumés trop complexes pour être présentés dans une forme littéraire romancée. De là cet aspect rédhibitoire ressenti par plusieurs lecteurs, vaincus par la rugosité narrative des anciennes légendes.
Deux exceptions cependant, qui se retrouvent compilées dans ce premier tome des CLI. « De Tuor... » débute par le voyage du jeune héros qui répond à l'appel du Vala Ulmo. Ce qui se retrouve résumé en moins de 10 lignes dans le « Silmarillion » devient ici un récit envoûtant de plusieurs dizaines de pages. De longues et superbes descriptions plantent un décor saisissant de Nevrast, du palais abandonné de Vinyamar, de la splendeur terrifiante d'Ulmo,... Pour moi, cette plongée totale dans le Premier Âge n'a pas de prix. J'ai erré dans les fragiles splendeurs du passage secret du Drengist, j'ai respiré l'air iodé des côtes de Beleagar à la poursuite d'oiseaux mystérieux, j'ai levé l'épée oubliée de Turgon avec Tuor en hurlant à l'approche de la tempête...
Après la contemplation, il nous est donné de vivre l'infiltration de Tuor et de Voronwë, un Elfe marin rescapé d'une tempête, en territoir ennemi jusqu'à Gondolin. Là encore, quelques lignes du « Silmarillion » deviennent un récit intéressant, haletant même et l'on craint vraiment pour les deux héros, même si l'on connait la suite de l'histoire... Le conte inachevé porte bien son nom, évidemment, puisqu'il s'interrompt brutalement peu de temps après ça. Et le regret arrive... Imaginez la description de la chute de Gondolin avec ce merveilleux style développé. La trahison de Maeglin, le siège de la cité blanche, les combats contre les Balrogs.... A n'en pas douter, le résultat obtenu eût été un putain de roman, peut-être le meilleur jamais écrit par Tolkien ! Dommage, dommage...
Le deuxième récit est un développement de l'histoire de Túrin Turambar. Bien que très bon, ce récit est devenu obsolète depuis la publication du roman « Les enfants de Húrin » qui présente l'histoire sous sa forme définitive et complète. Néanmoins, les notes se révèlent plutôt instructives et, surtout, deux courts passages ont été omis dans le roman, dont l'origine de la provenance du Heaume du Dragon.
Les CLI constituent un prolongement providentiel, une source de renseignements précieux pour tous les lecteurs qui appréhendent l'univers de Tolkien comme quelque chose de plus qu'une simple fantaisie.