Les mondes éveillés avaient conscience du passage du temps comme un homme en canoë perçoit le rythme d'une rivière qui, paresseuse en amont, se déverse en torrent dans la mer.
La science humaine n'était qu'une brume de nombres ; la philosophie, un brouillard de mots. La perception même de ce grain de roc, une apparition éphémère et mouvante. Même le moi, ce fait en apparence fondamental, n'était qu'un pur fantôme, si trompeur que le plus honnête des hommes devait mettre en question son honnêteté ; si insubstantiel qu'il devait douter de son existence. Et nos fois ! si décevantes, si mal enseignées. Si sauvagement poursuivies et détestées ! Nos amours, pleinement intimes et généreuses, devaient être condamnées comme impalpables, égoïstes et narcissiques.
En imagination, je vis derrière le sommet de la colline les collines les plus lointaines et invisibles. Je vis la plaine et les bois. Je vis la terre se courber sur l'épaule de la planète. Les villages étaient liés par un réseau de routes, de lignes d'acier et de fils. Gouttes de rosée sur une toile d'araignée. Çà et là, une ville se déployait dans une profusion de lumière, nébuleuse lumineuse scintillante d'étoiles.
Traduction par Brigitte André.