Charles Baudelaire est l'un des plus grands poètes français, c'est un fait incontestable. En son temps, les fleurs du mal, un recueil d'une centaine de poésies tournant autour de sujets souvent morbides ou choquants pour l'époque, partagea considérablement la critique. Certains furent charmés par l'extravagance du poète, d'autres ont appuyé la censure d'une partie de l’œuvre. Jean Teulé est un auteur qui s'amuse à mettre en scène des biographies romancées des plus grands poètes français, et Charles Beaudelaire, de ses propres dires, est un sujet qu'il a volontairement esquivé depuis longtemps.
C'est que l'artiste, aussi génial soit-il, cachait en son sein une personnalité des plus détestables. Drogué du matin au soir, débauché, misogyne, pervers, méchant et irrévérencieux, Beaudelaire a constamment recherché l'attention des autres en choquant. Et Jean Teulé, à défaut d'excuser les travers du bonhomme, tente à sa manière dans un bouquin de 427 pages paru aux éditions Mialet barrault en septembre 2020, de vous narrer non pas les fleurs du mal, mais plutôt ses racines.
Un travail biographique recherché...
En ce sens, le bouquin est assez réussi. Pour avoir vérifié par moi-même, quasiment chaque personnage, chaque période qui apparaît dans le livre, est sourcée. De son enfance malheureuse, à son voyage initiatique sur les mers, en passant par la jeunesse et la déchéance du poète vers la fin de sa vie, rongé par la Syphilis et les regrets, chaque grande période de la courte vie du poète ( 46 ans et cinq mois) est assez bien retranscrite dans le livre.
Derrière ce travail de documentation, Teulé incorpore des extraits des « fleurs du mal », des poèmes dont il essaie de trouver une justification à travers les actes du poète. Par exemple, l'Albatros aurait été inspiré à Baudelaire lors de son voyage sur les mers. L'aube spirituelle découle de la fascination que le poète a eu pour une femme, Appolonie Sabatier, une mondaine artiste peintre de son temps.
Teulé aborde aussi respectivement trois périodes historiques que le poète a vécu au cours de sa vie, la monarchie, la seconde république puis le second empire. Baudelaire est confronté à chaque intellectuel, artiste de son temps, et c'est un vrai plaisir de le voir interagir à sa manière avec eux.
… Un peu trop romancé peut-être
La principale critique que l'on peut adresser à ce livre, c'est son parti pris. Teulé a voulu présenter sans concession le poète comme un être tourmenté, malsain voir profondément dégoûtant. Objectif atteint, et pour autant, le livre est-il meilleur par ce fait ? J'ai l'impression que Teulé a voulu faire son Bret Easton Ellis, en écrivant par moment des scènes assez salaces, ou rien ne nous est épargné dans les scènes de sexe sadomasochistes du poète notamment. Et parfois, certains actes qui nous sont décrits ne sont malheureusement pas sourcés. J'ai du mal à croire que Baudelaire puisse avoir causé la mort d'une femme et de son enfant de manière involontaire pendant les barricades de Paris. J'ai du mal à croire certains des faits du livre. Je pense que Teulé a peut-être un peu trop forcé le personnage, épaissi le trait pour nous faire détester Beaudelaire. D'autant plus que à presque aucun moment, Teulé ne désapprouve les actes de son «anti-héro », sauf à quelques rares passages.
Là où l'auteur se débrouille bien, c'est pour décrire l'origine du comportement de Baudelaire. Son principal trouble réside en sa relation œdipienne avec sa mère, Caroline, qu'il désirait de manière incongrue pour un petit garçon de cinq ans. Lorsque que son père, qu'il n'aimait pas est mort, il pensait pouvoir s'accaparer sa mère pour lui seul, mais Jacques Aupick, un militaire influent, est venu s'imposer entre lui et elle. Beaudelaire a donc voué une haine féroce à son beau-père et aux femmes, et de facto, le poète s'est mis à se haïr lui-même.
En découle un comportement auto-destructeur illustré tout au long de sa vie, et des relations aux femmes particulières. Sa muse et principale maîtresse, Jeanne Duval, une grande métisse a été véritablement son amour s'approchant le plus d'une forme de sincérité de sa part. Cette relation toxique et malsaine, car les deux se faisaient des crasses, a inspiré au poète ses plus beaux poèmes, glorifiant ou rabaissant Jeanne selon les périodes de sa vie. Beaudelaire s'est également entiché de Appolonie Sabatier, que j'ai évoqué précédemment, et de Marie Daubrun, une actrice au caractère bien trempé qui était plutôt dominatrice avec lui. Et le livre vous narrera inévitablement les diverses rencontres du poète avec des filles de joie, Beaudelaire étant presque incapable d'avoir une relation amoureuse saine avec une femme de son temps.
J'ai trouvé la fin du bouquin assez réussie, parce que véritablement la chute de Beaudelaire est décrite de manière brute, sans concessions. Beaudelaire, drogué de plus en plus, rongé par la syphilis, s'exile en Belgique pour fuir ses nombreux créanciers, et espère une renaissance artistique chez les belges, qu'il va vite détester. Alors que le poète souhaite rééditer les fleurs du mal, et sortir une nouvelle compilation de poèmes, il a une attaque cérébrale, et finit convalescent dans un hospice avant de décéder.
Le roman se termine de nouveau sur une exagération de Jean Teulé, et pourtant j'ai aimé l'analogie entre le début du roman et sa fin, à savoir que tout tourne autour de la relation étrange entre Charles Beaudelaire et sa mère, relation teintée d'amour oedipien et de haine.
Conclusion
Crénom, Baudelaire est une autobiographie romancée de la vie de Charles Beaudelaire assez réussie, et cependant le parti pris de montrer le poète comme une ordure est peut-être trop poussé dans l'exagération, afin de choquer le lecteur.
C'est un roman trash par moments, et qui cependant m'a quand même intéressé et m'a donné envie de lire les fleurs du mal et de m'intéresser davantage à la vie écornée de ce poète de génie, qui était loin d’être un ange dans la vraie vie, et qui a écrit des vers qui étaient à l'image de sa personne : une tourmente lyrique perpétuelle.