L'histoire de Cyrano c'est l'histoire d'un homme libre. Un homme qui n'accepte aucun maître, aucun compromis. "Non, merci." Qui porte fièrement ses opinions comme il porte son panache, théâtral, défiant quiconque le contredit à la pointe de l'épée ou de ses réparties bien acérées. Il semble que la nature aie voulu marquer cet homme supérieur dont la liberté ne peut rester inaperçue et le condamne à afficher ce nez protubérant, symbole de son esprit monstrueusement indépendant. Persuadé qu'il ne peut être aimé, il a rejeté toute envie de plaire, au simple homme du peuple comme au duc le plus puissant. À personne sauf Roxane. Ce nez un peu grand grossit à ses yeux pour devenir une montage infranchissable qui le sépare de l'amour de la seule dont l'affection compte pour lui.
Dans un monde où les compromis ont souvent raison de nos élans initiaux, Rostand a créé un héros laid, certes, mais dont l'indépendance et l'éloquence nous font tous envie, jusqu'au Duc de Guiche:
" LE DUC, s'arrêtant, tandis qu'elle monte
Oui, parfois, je l'envie.
- Voyez-vous, lorsqu'on a trop réussi sa vie,
On sent, - n'ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal !
Mille petits dégoûts de soi, dont le total
Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ;
Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
Un bruit d'illusions sèches et de regrets,
Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes."