Dans ce livre tiré de sa thèse de 2001, devenu en quelque sorte un classique des études sur la littérature de genre, Anne Besson s'intéresse à 2 structures narratives a priori antagonistes que sont la série et le cycle.
La série se définit en effet par la répétition, la récurrence potentiellement infinie des mêmes éléments, et donc, peut-on dire, par une dissolution, un effacement des contraintes de durée, une minimisation des possibles évolutions de ses constituantes (cf. par exemple les aventures de Sherlock Holmes).
A l'inverse, le cycle va chercher à représenter des univers bien ancrés dans le temps, faisant largement évoluer ses personnages et ses structures (cf. un cycle de science-fiction comme Fondation d'Asimov ou la saga de Tolkien).
Anne Besson montre ensuite, comme pour toute bonne typologie, au-delà des cas extrêmes, toutes les situations intermédiaires qui peuvent advenir, des cycles pouvant dériver vers la série ou inversement.
Dans un passage intéressant, et en intégrant totalement à ses développements les contraintes économiques éditoriales et les exigences des lecteurs (des récepteurs) des différentes littératures de genre, Anne Besson montre bien comment les structures sérielles ou cycliques s'avèrent plus ou moins adaptées à tel ou tel genre, en particulier selon le rapport que ceux-ci entretiennent à la dimension temporelle. Ainsi, le roman policier à énigme classique, par définition clos sur lui-même (crime et élucidation a priori de ce dernier), s’accommode bien mieux de la structure sérielle, tandis que la fantasy et la science-fiction vont laisser beaucoup plus de place à la structure cyclique (autour d'ensembles romanesques suivis), d'autant plus étant donné qu'ils peuvent proposer des univers qui peuvent se jouer des règles temporelles classiques (personnages à la très longue durée de vie, voyage dans le temps, successions de générations, etc.).
L'auteure montre bien alors les contraintes narratives qui peuvent naître de ces deux structures: la répétition, trop poussée dans des séries, peut faire naître des incohérences narratives, voire susciter de l'ennui ; à l'inverse, dans le cas des cycles, un récit trop développé peut devenir totalement hermétique aux nouveaux lecteurs, d'où un travail permanent pour demeurer accessible, en rappelant constamment le contenu des tomes précédents, etc.
Je viens en gros de résumer le premier chapitre de l'ouvrage. Or, dans les chapitres suivants (qui m'ont tout de même beaucoup moins intéressé), Anne Besson fait le choix de se focaliser quasi-exclusivement sur les cycles, laissant les séries de côté (ce qui ne coule pas forcément de source à la lecture du titre de l'ouvrage...). Elle y étudie (peut-être trop) en détails toutes les stratégies narratives pour jouer de la dimension temporelle dans les cycles.
J'aurais au final tout de même quelques reproches à faire à l'ouvrage.
Tout d'abord, et pour évacuer le sujet car c'est un reproche récurrent pour beaucoup de thèse de littérature, l'ensemble souffre un peu de son manque de transdisciplinarité: sur un sujet pareil (et même si bien entendu ces médias sont évoqués par Anne Bessoin et que cela était sans doute beaucoup moins évident en 2001 que ce ne l'est aujourd'hui en 2020), on regrette que le travail n'ait pas carrément assumé dès le début une approche "trans-médias", mobilisant à part entière à côté de la littérature les séries, les jeux vidéos, les films, les BD, etc. Après, pour avoir fait une thèse moi-même, je sais bien malheureusement comment cela marche, et Anne Besson n'aura sans doute pas eu beaucoup de latitude sur ce point.
Par contre - et cela relève tout à fait de la chercheuse pour le coup -, j'avoue avoir été quelque peu gêné, au cours de la lecture, par le discours général tenu sur les "littératures de genre". Loin de moi l'idée de nier qu'une grande partie de cette littérature relève de l'exploitation commerciale pure et simple (le nier aurait été autrement problématique), cependant, il me semble quelque peu exagéré de ne ramener les œuvres étudiées qu'à des préoccupations mercantiles (en gros, je caricature, chercher à refourguer le maximum de papier imprimé à des geeks) - et je suis d'ailleurs intimement persuadé qu'Anne Besson apprécie elle-même hautement cette littérature, ou alors, pour y avoir consacré autant de temps dans sa carrière, ce serait l'un des plus beaux cas de dissociation cognitive que j'aie rencontré de ma vie....
Or, dans son introduction et sa conclusion, l'auteure me semble pourtant adopter (à moins que je l'aie très mal lu) des postures pour le moins dépréciatives: dans l'intro, Anne Besson réactive, sans jamais vraiment la critiquer, la fameuse distinction entre GRANDE littérature (pour les gens cultivés) et littérature de genre (pour le bas peuple), dichotomie qui me semble extrêmement problématique. La GRANDE littérature n'est-elle pas destinée à être vendue elle aussi? Ne participe-t-elle pas également à des logiques sérielles/cycliques? (les multiples itérations de chroniques familiales ou de récits psychologiques ne relèvent-elles pas également de logiques sérielles de répétitions ad nauseam? Et certains des grands classiques littéraires d'aujourd'hui ne sont-ils pas de grandes œuvres "populaires" de leurs époques?) Bref, la GRANDE littérature n'est-elle pas constitué de sous-genres à part entière? Vous aurez compris mon point de vue sur la question.
Puis, dans sa conclusion, Anne Besson voit dans la littérature cyclique une production fondée sur le principe de la "réassurance": face à nos existences prisonnières du temps, d'un futur incertain, les grands cycles nous fourniraient un agréable sentiment de contrôle, tous les éléments des univers présentés étant connectés et faisant sens au sein d'un grand récit global et totalisant. Or, si on en arrive à cette conclusion sur les cycles, que dire alors des séries et de leur atemporalité? Ce serait le niveau encore supérieur de la réassurance, une réassurance préférant carrément nier le temps comme grand principe d'incertitude.
Là encore, s'il y a une part de vérité dans les propos d'Anne Besson, on peut tout de même considérer qu'il s'agit là d'une vision bien déprimante et réductrice de la littérature et des arts en général, ramenés ainsi à une sorte d'opium uniquement destiné à nous anesthésier. L'auteure semble ignorer des moteurs positifs de l'art que sont, par exemple, la volonté de se plonger dans d'autres univers, dans d'autres temps, d'accompagner de multiples personnages aux multiples destins. Est-ce nécessairement de la réassurance que de vouloir échapper à son parfois morne quotidien? Je ne pense pas.
Pour conclure, un ouvrage certes stimulant, surtout si vous appréciez les genres traités (sinon, comme moi, de très nombreuses références ne vous parlerons pas forcément), mais dont je ne partage pas forcément le ton général, inutilement dépréciatif vis-à-vis de son corpus, alors qu'il me semble tout de même plus urgent de le mettre en valeur et de le réhabiliter auprès d'une certaine intelligentsia.