La chronique littéraire sur les radios de l'Arc jurassien
Pour son premier roman, Ryan David Jahn utilise un fait divers réel de 1964 : le meurtre d'une jeune femme dans la cour de son immeuble, entourée de ses voisins qui n'ont pas réagi. Un fait divers qui a donné naissance à la notion d'«effet du témoin» : plus les témoins sont nombreux, moins ils sont susceptibles d'intervenir.
Sous la plume de Jahn, la victime est Kat, jeune gérante de nuit d'un bar, qui rentre chez elle en voiture. Elle vit au rez-de-chaussée d'un petit lotissement new-yorkais, dont la porte est atteignable depuis une cour intérieure.
Mais dans cette cour se cache un homme avec un couteau de cuisine.
Lorsque Kat reçoit les premiers coups de couteau et pousse 2 cris très perçants, on passe de la cour à l'intérieur des appartements, où on entre dans la vie de ses voisins. Ces voisins qui ne réagissent pas et n'appellent pas la police.
La fin de l'histoire, on la connaît déjà : Kat agonise durant 2 longues heures dans cette petite cour, sans que personne ne réagisse. Personne ne veut prendre le risque d'encombrer les lignes de la police, tous certains que quelqu'un a déjà appelé. Mais au bout de ces 2 heures – à lire sans interruption – quand l'aube se lève, les voisins découvrent un vrai carnage.
Pour nous tenir en haleine durant 2 heures, l'auteur déploie son roman en de multiples histoires parallèles où tous les personnages rencontrés sont aussi importants les uns que les autres et reliés à Kat.
Il y a homme dépressif qui est sur le point de se suicider ; un couple qui fait de l'échangisme qui va mal se terminer ; un jeune homme qui s'occupe de sa mère malade et qui a reçu son ordre de marche pour le Vietnam ; une femme dont le mari la trompe ; une infirmière qui a peut-être renversé une poussette sur le chemin du retour, mais n'est pas sûre ; ... tous ces personnages vivent un moment-clé de leur existence et ce cri qu'ils entendent dans la cour passe après leurs problèmes personnels.
La seule personne qui aurait réagi est un homme Noir. Seulement, cet homme a dû partir pour une urgence, qui va le confronter au climat social de l'époque, où Jahn nous fait ressentir un racisme très présent.
Ryan David Jahn monte son histoire de manière à percer à jour la nature humaine.
Il nous fait entrer dans la vie de chaque personnage en leur donnant à tous une raison valable de n'avoir pas réagi, il les rend intéressants et crédibles. C'est cette crédibilité qui nous ébranle, et nous pousse à nous poser nous-même la question cruciale : «qu'aurais-je fait», quand l'un baisse les stores pour ne pas voir, ou que l'autre monte le volume du tourne-disques pour ne plus entendre ?. En le lisant, Jahn nous fait voir et entendre tout ce qui se passe. On devient le témoin numéro un, celui qui doit se remettre en question et par qui ce fameux effet du témoin peut être contré. Celui qui prend la responsabilité de l'urgence et casse l'inaction de la foule.
Celui qui aurait pu sauver la vraie Kitty Genovese.