Ce court récit à la première personne d’environ cent-vingt pages est celui d’une jeune fille russe, surnommée Sacha, exilée à Paris après une enfance à Pétersbourg marquée par l’extrême misère. Une misère familiale, intellectuelle, matérielle surtout, une misère générale liée à un contexte politique qui n’est pas développé dans le texte, qui apparaît à peine en filigrane. Ténue, incertaine et fuyante lumière dans le tableau, sa sœur Ariane, et le couple qu’Ariane forme avec un homme de théâtre déjà marié restera dans l’inconscient de Sacha comme le symbole d’une tentative d’espoir contre l’étouffement d’une vie qui ne peut pas être la vraie, qui ne peut pas être celle pressentie comme, derrière des portes, « la grande salle remplie de lumière et de musique. » Un poème en prose, La Cape trouée, expose ce même élan vital que choisira Ariane en quittant le domicile familial.
Pourtant, le texte en rend bien compte par son style direct, réaliste et simple, sans fioritures, la vie de Sacha se poursuit dans le labeur, monotone et sombre, à Pétersbourg comme ensuite à Paris, une vie dans laquelle la perspective d’un voyage est à peine envisagée, tel un désir très souterrain, une vie dans laquelle il est surprenant de parvenir à épargner malgré tout, une vie où il n’est pas non plus question d’amour, ni même du mariage qui serait un autre asservissement que le travail rémunéré. Il s’agit donc d’un texte modeste, certainement assez monotone voire ennuyant en partie par son sujet même (la pauvreté, la perpétuelle ressemblance des jours, un emprisonnement sans qu'il y ait eu faute), mais aussi plus riche qu’il n’y paraît puisqu’il évoque constamment la possibilité d’un espoir, imprécis et d’autant plus immense, quand précisément l’espoir semble impossible. Finalement, le sujet de ce livre me rappelle ce passage de Breton : « Elle me dit son nom, celui qu'elle s'est choisi : Nadja, parce qu'en russe c'est le commencement du mot espérance, et parce que ce n'en est que le commencement. »