Cela relèverait presque du sacrilège, on pourrait même parler de critique impie que de noter une œuvre «objectivement», qui plus est quand elle est de nature politique. Toutefois, quoi qu’on en pense substantiellement, on ne peut qu’admirer la pertinence argumentaire et stylistique de l'auteur, en dépit d’une logorrhée qu’on a pu lui reprocher.
Ici, Constant, en pourfendeur de tyrannie, distingue brillamment la liberté selon différentes époques, de Sparte aux Modernes en passant par Athènes et les Gaulois.
La liberté des Anciens, explique-t-il, est collective et sert à assujettir l’individu à l’autorité de l’ensemble car le citoyen-souverain est cet ensemble. Souverain-citoyen il décide de la paix et de la guerre, individu-citoyen, il est observé et réprimé.
Tandis que celle des Modernes est entendue au prisme de l’individualisme, cédant sa souveraineté au profit d’une «indépendance individuelle».
Ces différences se caractérisent par le contexte politique en place. La guerre permanente des anciens ne permet pas au citoyen de s’individualiser du fait des atteintes manifestes à la liberté qu'elle provoque. Toutefois, cet état belliqueux naturel, intrinsèque aux sociétés anciennes fait référence à Thomas Hobbes et son Léviathan, à cet égard il est nécessaire de rappeler que Hobbes défendait déjà ce libéralisme.
Ce Léviathan procède en effet d’un contrat social, d’une association politique des citoyens. In fine, il se soucie de la volonté politique des individus, ainsi, le pouvoir se justifie par le bas, permettant d’établir la légitimité du souverain.
Il s’ensuit alors une première contradiction dans la justification du nécessaire avènement du libéralisme politique en dissociant guerre et liberté.
A l’instar de John Locke, Constant énonce ensuite que c’est avec l’essor du commerce et de la propriété privée que la liberté moderne doit aller de pair. Selon Locke ce droit de la «terre» est essentiel et central car il permet le commerce primaire qui inspire aux hommes un «vif amour» pour l’indépendance individuelle.
Constant, à qui l’ont doit tout de même deux pages de diatribes acerbes à l’encontre de Rousseau, se place, toute proportion gardée, comme libertarien. En effet, avec "De la liberté des anciens comparée à celle des modernes", nous sommes face à une déresponsabilisation politique complète du citoyen qui devient individu ne cherchant que son bonheur (matériel?) personnel.
L’Histoire, et plus modestement Alexis de Tocqueville quelques années plus tard, lui auront donné tort. Cette «passion pour l’égalité [des droits]», si chère au libéralisme politique, place le citoyen dans une situation semblable à n’importe quelle autre personne, cachant en apparence des disparités pourtant bien réelles. Cela est, selon Tocqueville, insupportable auxdits citoyens qui vont alors tout faire pour les réduire, quitte à niveler la société vers le bas.
De plus, cet individualisme atomise les individus qui entretiennent, dès lors, des relations uniquement utilitaires nécessaires à leur enrichissement personnel favorisant le «despotisme doux» qui dégrade les Hommes sans les tourmenter et ne «cherche qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance» où l’État agit en tuteur de ses individus isolés.
Malgré cela, si le libéralisme politique dispose aujourd'hui de l’effet cliquet, c’est notamment grâce aux auteurs comme Constant, qui prononce son discours quelques années après le retour des Bourbon sur le trône qui met fin à l’Empire Napoléonien, peu garant des libertés individuelles. Il est donc nécessaire de plaider cette démocratie libérale contre tout ce qui tend à la proscrire.
Cette œuvre, bien que vieille de plus de deux siècles, subsiste dans sa modernité, et même dans l’actualité.