Enfin ! Ça lui aura pris trois essais, mais Andrew Chapman nous livre enfin un bon livre, et même mieux : l'un des meilleurs Défis Fantastiques jusqu'ici, grâce à une série de bons choix… et l'aide d'un complice inattendu.


Premier bon choix : abandonner la science-fiction. Adieu pistolets lasers et robots pas jojos, Défis Sanglants sur l'Océan opte pour une fantasy aux accents des Mille et Une Nuits bien plus colorée et mémorable, ne serait-ce que pour ses noms aux sonorités mésopotamiennes, un choix linguistique pas banal qui mérite d'être souligné. Les lieux que l'on traverse dans cette aventure sentent bon le sable chaud, bien loin des assommants couloirs du Mercenaire de l'Espace et des Trafiquants de Kelter, et on devine les efforts fournis par Chapman pour donner vie à son monde, même s'ils restent plutôt embryonnaires (il a ultérieurement écrit un roman, Ashkar the Magnificent, qui se déroule dans les mêmes lieux). Le coup de crayon de Bob Harvey, toujours aussi solide, vient finir de donner vie aux gens et aux monstres qui peuplent les rivages de la Mer Intérieure (il trouve encore le moyen de nous offrir une jolie demoiselle au §108).


Deuxième bon choix : un concept étonnant. Le VOUS dont le lecteur endosse ici la peau n'a rien du héros solitaire confronté à une puissance maléfique qui menace le monde. En fait, il se trouve précisément de l'autre côté de la balance : c'est un fichu forban, un boucanier sans foi ni loi dont l'unique objectif est de devenir le roi des pirates en amassant un maximum de butin à bord de son navire, la Terrifiante, dans un temps limité. Même si le livre joue assez peu la carte du héros amoral, c'est vraiment rafraîchissant de pouvoir s'en prendre à des innocents pour les dépouiller ou les réduire en esclavage, et voir lentement mais sûrement augmenter le contenu de la case « Butin » de votre Feuille d'Aventure a quelque chose de franchement jouissif.


Un tel postulat aurait gagné à offrir une aventure pas trop linéaire, avec des chemins alternatifs jouant sur vos forces et faiblesses. Un capitaine costaud à la tête d'un équipage faiblard aurait pu faire des choix différents d'un autre capitaine moins baraqué mais bénéficiant de marins plus compétents. Hélas, Andrew Chapman ne propose rien de tel ici : il y a une quantité de butin minimale à dépasser pour remporter la victoire finale, mais elle dépend à un degré très élevé du chemin que vous suivrez, et le seul moyen de savoir quels endroits seront lucratifs et lesquels seront de simples pertes de temps est d'y être déjà passé lors de précédentes lectures infructueuses. On aurait pourtant pu s'attendre à ce qu'un corsaire prétendant au titre de roi des pirates connaisse un minimum la région où il sévit…


Pire : beaucoup de choses dépendent également de vos caractéristiques de départ, en particulier celles de votre équipage. Pour peu que ce dernier soit trop faiblard, vous allez perdre beaucoup de temps à vous rendre d'une escale à une autre, voire connaître tout simplement un game over aussi brutal que frustrant à quelques paragraphes de la fin ! Le livre s'adonne également trop fréquemment à mon goût aux tests de Chance mortels, trop pour qu'il soit possible de le finir à la loyale. D'autres éléments ne sont pas nécessairement mauvais en eux-mêmes, mais au moins source de perplexité de ma part, comme cette scène où l'on surprend des pirates concurrents en train d'enterrer un trésor et où l'on n'a le choix qu'entre les attaquer pour voler leur or ou s'en aller (pourquoi ne pas attendre qu'ils s'en aillent pour voler leur or en toute discrétion ?), ou encore ce curieux combat final à mains nues contre un Cyclope tout droit tombé du ciel, pas mal fichu mais sans la moindre justification scénaristique et qui bouffe une bonne trentaine de paragraphes.


Néanmoins, ce livre bénéficie d'une atmosphère si prenante que sa difficulté me rebute moins que d'autres. C'est ici qu'intervient le complice dont je parlais au début et qui n'est autre que le traducteur Jean Walters. Dans sa version originale, Seas of Blood offre une prose aussi morne et laconique que les deux précédents livres de Chapman, et je n'aurais sans doute pas mis plus de 6 à une traduction française fidèle. Mais ce n'est pas ce que l'on a ici : Walters, peut-être frustré par son expérience de traduction du Mercenaire de l'Espace, se laisse toute latitude pour ajouter des détails, développer des passages, embellir des descriptions, bref, il fait le boulot de l'écrivain à la place de l'écrivain lui-même. La différence de taille entre les deux langues est significative, certains paragraphes doublant, voire triplant en taille ! On pourrait hurler à la trahison, mais qu'importe quand le matériau de base est si médiocre et le résultat si plaisant ?

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le 31 mars 2015

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Tídwald

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